16.10.22
Que tu viennes pour toujours,
sans tambour, sans recours
Quand le sort devient lourd
Le ressort devient lousse
Et le pas du parcours
s'embobine dans sa brousse
Un courriel suit son cour
Ma chère amie
Ce sera à ton tour
Un jour
7.8.20
La paillle et la poutre
Enweille
C’est tout comme
Pas pareil
C’est la somme
des merveilles
Des bonnes femmes
Des bons hommes
Des tout nu
au soleil
On la fait-tu
la révolu...
où bedon on attend d’avoir trop mal au cul
Au Québec
Moé j’en connais des fous
Des malades qui ont tout
Le cœur, la tête, les sous
Un statut de poids lourd
Des amis, des amours
Pis câliss malgré tout
Même avec deux p’tits becs
Font rien avec
Tabarnac que l’monde est mou
Mou, mou, mou, mou
Faut virer les blancs-becs
Que le peuple à gauche à dwette....
Je rigole, capote-pas
Autant s’faire couper un bras
Plus capable
De Facebook fascisant le monde
Un grincement dans un moteur qui gronde
Le retour de l’au-de la lune est ronde
Ton opinion et tout le tralala immonde
Comme partir en campagne pour Satan
Des kidnappeurs de temps
On est innocent
Tape là-dedans
Ça me tenailles
Au tréfonds des entrailles
N’importe yousse que j’aille
J’essaie d’enlever la paille
Si t’en n’a rien à foutre
T’as peut-être la poutre
En outre.
5.2.20
Mon monstre
C’est mon monstre
Non, c’est pas du monde
mon monstre
Il m’efface
me torture
me trappe et me trompe
Ma raison succombe
(C’est pas du monde)
L’enfant me possède et j’ai peur du noir
Le livre est ouvert sur un abattoir
Chacun pour sa roche, chacun son sermon
N’est-il pas là le seul démon?
C’est mon monstre
Mon immonde monstre
Qui m’obsède
qui me ronge
Me suit dans mes songes
Il me vend la bombe
Mon monstre
L’instinct du connard ou de la connasse
Pense à son cul et prend toute la place
Je parie un brun sur l’armageddon
C’est tellement bon, ce que nous fumons
C’est mon monstre.
Mon monstre l
Manger d’l’amour ou manger d’la marde
Ça pitonne en pensant que ça parade
Ça paye en plus pour pousser son nom
Deux point zéro,
Ouin
Bien profond!
C’est mon monstre
Mon monstre
Pis ton monstre
est peut-être à peu près
patenté pareil à
mon monstre
(On gage, on plonge)
7.9.17
Les amours du monde
S'il eut fallut que j'eusse cru
ne serait-ce qu'une microseconde
la première fois , quand je t'ai vu
que tu ne fusses jamais ma blonde
J'aurais maudit le monde
Et les amours du monde
Et les amours du monde
Oussé qu'on était rendu?
Ouin c'est ça!
Dans les amours du monde
Nos égos mangent tout crû
La terre encore féconde
On se fait des saluts
Du fin du fond au fil des ondes
Les kilomètres ne comptent plus
Dans la nuit, ton cœur, une sonde
Transmission infinie
Réception entre amis
Sans wifi sans souci
Tant que ta fesse est ronde
Et pis les deux tant qu'à!
21.11.15
L'air laid
Télévore,
boulimique d’images en canne
Tous ces corps, ces décors constituent le réel
Même le sport, les quiz , les pubs et les shows de boucane
La télé sans censure, réalité
poubelle
Abonné aux magazines les plus
tendances
Vanity, Marie-Claire, Elle et
Summum
ces formes informent dans un oeil qui balance
des boules de Kardishian aux beaux
bras de son chum
Tous les blogues santé, bien beauté et
mode bobo branchés du web
tous les jeux d’action ou de
rôle où l'on crève
Bien bourré des mille clichés
beaux adverbes
je frémis du bout de mes mamelons imberbes
beaux adverbes
je frémis du bout de mes mamelons imberbes
Mais je dois sortir dehors une fois par semaine
Le café est moins fort
pénurie de crème
Tâche éléphantesque
trainer ma bédaine
trainer ma bédaine
sans effort me vient cette rengaine
Le monde est donc bien laid
je le vois de mes yeux, vu
Les filles ont des énormes cuisses
et des peaux de grenouilles
et des peaux de grenouilles
Les gars ne sont pas tous tatoués
même pas plus beaux tout nu
même pas plus beaux tout nu
Et ceux qui sont musclés sont fringués en fripouilles
Le monde est tellement laid
sans abdos bien découpés
BBQ bronzés
sans abdos bien découpés
BBQ bronzés
Les femmes font elles exprès
pas poupées Walt Disney
pas poupées Walt Disney
Les hommes même pas tous grands
ce gros monde paraît en plus trop vieux
ce gros monde paraît en plus trop vieux
Faudrait faire un effort
vous maquiller un peu.
vous maquiller un peu.
Pas d’allure comment le monde est laid
On dirait qu’y ont pas l’câble
Au moins là j’ai mon lait
Aller tous être laids chez l’yâble
20.7.15
Femmes à barbe en bikini
(pour me défouler un peu...)
On a ben beau dire qu’l’hiver est
frette par icitte
Il est surtout long et dur comme
ma fuckin bite
On a ben beau honnir cette vérité
vulgaire
Six mois de cul qui nous laisse
tous la plotte à terre
Semi-bandé dans mes bobettes
à nourrir mes bebites
Par dépit, dépressif, déboulonnant mon propre mythe
Un héros moribond et
valétudinaire
Un bozo, un colon, un roi, un
rastaquouère
Je suis sauvé quand les bijoux de
rosée brillent
Quand les fleurs repoussent sur
les trottoirs de la ville
Les peaux sont douces et flotte
le parfum des filles
Manquerait ben juste qu’elles
portent toutes des talons aiguilles.
De pores en pores, ça sent, ça
sue, ça pue l’désir
Orgie de phéromones qui l’enmieute ou l’empire
Et moi je bave comme un cave, un
satyre, un maniaque
Ostie de calliss qu’la nature est
belle tabarnac
Poupounes à deux boules ou bimbos
blondasses qui louchent et douchettes en tite babouches
Poupées toute tatouées mettent la
libido à la bouche
Sauf que ma soif est tout sauf simple
et sustentable
Et que la commune des mortelles
m’est exécrable
Oui, Ah oui je jouis
Dans la multitude des anatomies
Entre les transgenres et pis les hommes bis
Moi je capote su’é femmes à barbes en bikini
C’est pas un hipster en monokini
pas ta soeur en hormonothérapie
C’est une vraie de vraie femme à
barbe en bikini.
13.1.15
L'histoire sans-dessein.
Charlesbourg 1983
La rue Hoffman, tout comme les rues attenantes, tenait son nom d’un ancien curé de la plus vieille paroisse de Charlesbourg, tout comme la rue Paiement, Godbout, alouette. Une vingtaine de bungalows s’y côtoyaient à une exception près, le bloc. Un bloc en clabor blanc de trois étages, construit dans les années quarante, semblait tout désigné à abriter les gueux du coin et leurs enfants, des rejets, évidemment. J’y demeurais, au deuxième étage avec ma mère et ma sœur dans le même appartement qui avait été le point de chute de mon grand-père et de ses 7 enfants trente ans auparavant.
Quoique ma famille ait été d’une classe plus que moyenne, les pauvres du coin étaient plutôt ceux de la rue d’en arrière, casés dans le seul vrai bloc à appartement en briques brunes du quartier. Ces malfamés aux mains collantes (pour moi, tous les pauvres ont les mains collantes à cause d’un excès de Mr. Freeze et de boules noires) constituait un groupe ennemi.
En solo, chacun était plutôt buvable et j’avais même quelques amis dans le lot. Mais en groupe, c’était une grosse bande de caves plus vieux que nous, qui venait détruire nos fabuleux forts de neige. L’automne venu, ils profitaient de la dénivellation de la rue pour nous balancer tous les fruits de deux vieux pommiers qui venaient s’écraser plus bas, sur la partie plane de la rue, prêt du lampadaire qui était le centre de notre monde, surtout le soir. Notre monde. Cette rue, son asphalte patchée et un terrain vague, chose rarissime dans le coin, que nous avions fait nôtre.
En cette chaude journée de la fin d’un été toujours trop court et qui me menait vers l’étape ultime de mon cursus primaire, la bande au grand complet était assise côte à côte, sur une chaîne de trottoir ombragée par une petite masse de peupliers. Entre deux parties de baseball dans la rue, nous profitions d’un peu fraîcheu. Nat était assis au mileu du chemin, sur le couvercle du trou d’homme qui faisait office de marbre de nos partie de balle. Perdue dans ses pensées, elle attendait de reprendre sa place d’éternelle receveuse. Face à elle, s’alignait la bande habituelle : Marco, Gre, G, Bison, Petit Faf, Fanroi, ma sœur et moi. Le niaisage habituel avait cours. La discussion était pour le moment complètement nulle étant donné le bruit assourdissant que faisait la vieille tondeuse des Faf. Grand Faf avait pris sur lui de maintenir ras le gazon du terrain vague, plus par goût des moteurs bruyants que par civilité.
Nous flânions donc en silence. Arrachant des brins d’herbes uns à uns, écrasant les fourmis égarées, regardant valser les petits éclaircis de soleil flirtant à travers les feuillages. La tondeuse se tu.
-Y était temps ciboire, marmonna Fanroi en faisant passer d’un geste sec, presque brutal, la balle jaune de sa main nue à son gant de baseballé
-J’ai pas hâte de le voir avec un char c’te grand dadais-là. Y va s’penser bon. ajouta ma sœur sous sa permanente bien sphérique surplombant d’immenses lunettes rouges. En tout cas, on est mieux qu’au patro. Chus ben contente cette année de pas y avoir été. Depuis que je suis dans les 4-H, ma mère m’oblige plus.
-Moé j’aimais ça le patro, dis-je par esprit de contradiction. Mais les 4-H c’est vraiment le fun.
-Fuck les 4-H., s’emporta Marco dans un but évident de provoquer gratuitement.
-Ta yeule bouffon, dit Gre, t’es même pas dans les scouts. Là t’aurais le droit de bitcher les 4H.
Fanroi en avait assez de notre gossage. Il sacra une bine à son petit frère G. non pas pour le saisir mais pour attirer notre attention.
Ouch caliss! G se rua sur son frère comme un pirate à l’abordage. Fanroi se bidonnait. Il contenait facilement ce petit bout d’homme, sa copie conforme avec 30 livres et 1 pied en moins.
Si je te lâche, tu arrêtes-tu? demanda le grand frère sous un ton menaçant qui sous-entendait toute une mornifle.
Pendant ce temps là, Bison, par dépit - sa fratrie se battait sans lui - me coucha sur le dos, les deux genoux sur mes bras afin de me tenir bien immobile. Il s’amusait à faire descendre un gros filet de morvia de sa bouche. Au dernier moment, alors qu’il allait atteindre ma figure, il aspirait la salive gluante du coup sec pour mieux recommencer. Ce petit jeu de yoyo devint vite l’attraction du moment. Malgré que Simon fut un professionnel du clam ainsi que du rot –il pouvait dire osti de calliss de tabarnac en rotant, d’un seul trait- je craignais que le mince fil de bave cède. Aidé par un claque derrière la tête, gracieuseté de Fanroi, le crachat de Damoclès fondit sur mon front dans toute sa viscosité.
Tout le monde rigola. Moi moins. Les rires stoppèrent net. Le père Faf remplit la rue de sa voix colérique. Nous vîmes alors Grand Faf passer en courant sur le terrain devant sa maison, la contourner et filer vers la cour arrière. Le grand sec était poursuivi par son père qui brandissait une ceinture en vociférant. Le silence se fit dès qu’ils eurent disparus derrière la maison. Chacun eut alors un frisson glacé à imaginer la suite.
-Ouin, je pense que vais rentrer chez moi, marmonna Petit Faf de la voix nasillarde que lui donnaient ses barniques pesantes. Il souleva son corps fluet et marcha vers le bungalow familial comme un condamné, dans l’indifférence la plus totale.
C’est que nous étions déjà tous en route vers la cour des Nolette, de l’autre côté de la rue. Il y trônait une piscine hors terre sertie d’un deck de bois écoeurant. Il faut dire que le père Nolette était associé dans une boîte d’architecture. La maison était sans contredit la plus belle de la rue, même comparée à celle du médecin, en biais, plus bas.
La fratrie possédait donc un ascendant social indéniable sur le reste de la bande. Du moins, ils suscitaient une certaine admiration ou envie. Jamais, par contre, ils ne nous le faisaient sentir ou remarquer directement. C’était plus subtil. Pas de lutte de classe. Tout résidait dans l’aspect des choses. Si ta maison, toi, ton linge, était laid, comme celle de Gre, cela devenait un objet de risée. A posteriori, je comprends que c’est du pareil au même.
Fanroi mit alors son éternel manége en marche. Marco et Bison n’allaient pas tarder à s’inviter dans la ronde.
-Eille. Bison, c’est comment donc que tu l’as appelé l’autre fois notre gros Grelu, ? demanda Fanroi.
-Grebibatte, répondit Bison
-Ha ha ha (rire général).
-Fanroi, caliss, c’est même pas drôle vos farces. Stie que vous êtes jeunes, vous autres. Vous avez toute des frames de chats. retorqua le colosse.
Gre! grogna Nath.
Moi j’ai faim de toute façon, y est déjà 3h00. J’vas aller bouffer, conclut Gre, en quittant la cour sans plus de manière.
-Va-t-en gros tabarnac. Tu pues. Y dois être faite en marde, c’te gros estie de ciboire du grosse bouse de caliss pleine de marde, beugla Marco au gros qui était déjà à distance raisonnable.
Il se mit ensuite à rire comme un cave. Il était toujours son meilleur public. Il poursuivit ensuite dans sa fougue habituelle.
-Retourne avec ta mère pustuleuse pis ton père avec sa perruque de moufette écrasée. Dans ta criss de belle cabane en blocs Lego. Ha Ha Ha! Pis ton frère, y es-tu capable d’aller pisser tu seul maintenant? Gre-lu! Grel-lu!
Toujours sans queue ni tête, sa gerbe d’insultes envers Gre était pour nous plus que convenue. C’était devenu banal et aujourd’hui je me rends compte à quel point Gre nous aimait pour avoir enduré tout ça.
Marco n’était plus arrêtable.
-Tchèquez la gang – il avait roulé ses manches et faisait des push-ups avec style, en soufflant comme un buffle. Il en rajouta.
-. Pensez-vous que Gre serait capable de faire ça avec son trois cent livres de graisse de chips. Marco se mit à rire si intensément que ses bras cédèrent et, se roulant dans la terre brunes et humide, beurra son beau t-shirt.
Tous s’esclaffèrent.
-Criss que t’es innocent, t’es tout crotté, lança Jeep.
-M’en fous, j’en ai plein du linge. Mon père y fait du cash pis mon parrain y a une Lamborghini. Fa qu’un t-shirt des Nordiques laitte, j’en fous.
Il attrapa alors le col de son t-shirt à deux mains et le déchira de bas en haut, non sans difficulté.
-AAARghhh! Hulk! fit-il.
-C’est vrai. T’es quasiment aussi laitte, dis-je, en feignant une méchanceté qui ne me seyait guère.
T’en rappelles-tu quand t’étais jeune, tu voulais nous faire à croire que ton père était vraiment l’incroyable Hulk. Étais-tu vraiment stupide ou tu pensais-tu que nous, on allait croire quelque chose de zouf de même, opina Fanroi.
-Pfeuh! Chus fort en criss, ça c’est vrai! Mon père est peut-être pas Hulk pour vrai mais il est fort comme Lou Ferrigno. Il s’entraîne.
-Entretemps, Bison et G étaient allé chercher dans le cabanon, un restant de teinture verte au créosote- sûrement un restant de la teinte des clôtures de bois- dans le but évident de faire un mauvais coup. Bison interrogea le mini-macho au torse nu.
Veux–tu ressembler vraiment à Hulk, enwoye ça va être cool. Après on va aller faire peur à petit Gre, proposa Bison comme si c’était quelque chose de normal.
-T’es-tu malade, ça tache mort, protesta Marco.
C’était le moment choisi par Fanroi pour lancer la traditionnelle réplique qui rend toute contre-argumentation impossible.
-T’es même pas game petit con!
Sans prendre le temps de réfléchir, ce qui était la norme dans son cas quand il entendait « T’es pas game », Marco se laissa peindre le torse et la face à la teinture verte.
-Pouahh! Criss pas dans bouche Bison, c’est dégueu.
Fanroi, riant tellement qu’il était tout rouge, plié en deux.
-Ok, c’est beau, fait ton Hulk! Commanda Bison en riant.
Il s’exécuta de manière admirable, la bouffonnerie étant sa spécialité.
Alors que l’on se bidonnait ferme, la mère des Nolette qui devait venir juste d’arriver mais que l’on n’avait pas entendu, fit glisser le moustiquaire de la porte patio afin de souligner sa présence. À la vue de l’imbécile couvert de teinture verte, elle lança sèchement :
-Bison, G, venez ici tout de suite, j’ai à vous parler…
À mon avis le gaspillage de teinture était plus une faute pour elle que le barbouillage terroriste du corps de Marco.
Étrangement dociles, les deux frères s’exécutèrent sonnant le glas de cette sombre comédie. Marco et moi remarquâmes alors que Fanroi avait eu le réflexe de se pousser avant l’arrivée de sa mère. S’il avait bien entendu la petit Toyota se garer, il ne s’était visiblement pas donné la peine d’en glisser mot à ses deux frangins. Personne n’en avait eu connaissance. Ma sœur avait elle aussi filé à l’angolaise.
Nath, quant à elle, ne trouvait jamais drôle nos mesquineries, par incompréhension ou un absence de sens de l’humour évident. D’un geste athlétique, elle bondit par-dessus la clôture qui séparait la cour des Nolettes de la sienne et disparu à son tour, pour souper. C’était notoire, sa famille mangeait à l’heure de poules, soit quatre heures.
Soudainement devenu un duo, moi, et Marco qui n’était nullement gêné par son épiderme vert, nous dirigeâmes d’un pas indolent de presque ado vers notre cachette secrète.
Ce camp, comme nous appelions tous les endroits ou nous aménagions de façon sommaire un semblant de confort, n’était en fait qu’une petite clairière d’un mètre carré dans une masse de renouées du japon. Cette plante, un genre de bambou hyper envahissant, pousse de 2 mètres en un mois et la densité et son feuillage en fait un parfait havre d’intimité. Située dans un endroit pas très bucolique, cette masse végétale touffue poussait le long d’une clôture en grillage de métal séparant le stationnement de gravelle de mon bloc de celui du bloc brun des pauvres de la rue Trudelle.
Marco et moi se retrouvions souvent en ce lieu et y faisions souvent, tôt dans la journée, notre plan de match journalier. Marco et moi étions de très bons copains ou plutôt, j’étais le sien. En fait, je me sentais prisonnier de son amitié excessive. Hyperactif évident - il ne sera diagnostiqué seulement que vers trente ans - il se levait à l’aurore et ma mère, qui le jugeait avec trop d’indulgence car son père était une ami d’enfance, le laissait attendre mon réveil dans ma chambre lorsqu’il se pointait à 7h00, tous les matins que l’été apporte.
Marabout au possible dans les premiers moments d’éveil, je ne manquais pas d’émettre quelques commentaires désobligeants à son endroit lorsqu’en ouvrant l’œil, je l’apercevais assis dans le divan lit brun près de mon lit, lisant un Astérix ou un Archie.
-Ah non! Va-t-en, je dors. Laisse-moi donc de moi vivre! gromelai-je.
Lui, plutôt, était d’une patience absolue face à mon sale caractère.
-Ben non Steve, capote pas, il fait beau, lève-toi paresseux, c’est l’été.
Si j’avais été violent, je crois que je l’aurais sorti à coup de poing mais déjà cette époque, Marco était fort athlétique alors que moi j’ai toujours été un maigrelet chicot. Ce gars voulait être mon ami, un des meilleurs que l’on puise avoir. Fidèle, présent. En quatrième, alors que j’étais nouveau dans l’école et demeurait dans les blocs de la rue Paul-Comptois, il avait trouvé mon adresse et un soir, était venu me chercher pour jouer.
Mon premier ami du coin. On s’est toujours bien entendu, même quand il a volé les billes lunes mastodontes de ma soeur avant d’avouer son crime et de lui rendre afin de pouvoir demeurer pote avec moi. Faut en vouloir des amis pour renoncer à un tel butin.
Moi, enfant, je ne voyais que la tache à marde en lui et en cet après midi, dans notre cachette de bambou polaire, j’ai pété ma coche. Peut-être parce que je me suis retrouvé subitement seul avec lui après que l’on l’ait ridiculisé en groupe. Le voir, accroupi, la peau verte comme le géant des cannes de petits pois lui donnait un air si stupide que je ne pouvais pas considérer plus longtemps être associé à cette pitrerie ambulante. Marco avait compris depuis belle lurette l’adage qui veut que si on ne vaut pas une risée, on ne vaut pas grand-chose. Il l’avait en fait complètement assimilé et n’était que risée.
C’est quand il sortit son paquet de cigarette que je virai fou.
-Non, pas encore, ça pue ça, C’est con.
-Ben non, tapette. C’est parce que t’es pas game. Je suis plus mature que toi, c’est tout.
Son paquet était tout blanc, sans marque ni nom. Un homme mystérieux qu’il avait rencontré à L’OTJ lui en donnait un par semaine. Supposément pour tester des nouvelles sortes. Un test humain sur un enfant de neuf ans. Édifiant.
Il en alluma une avec les allumettes fournies, elles aussi, par l’inconnu au grand cœur.
-Regarde, je peux fumer onze lignes d’une seule puff.
Son défi était de fumer une cigarette d’un seul trait. Les petites lignes imprimées qui strient les cigarettes étaient la jauge de ses progrès. Il s’entraînait.
-Euhff! Euffh! s’étouffa-t-il avant de vomir un petit coup dans les bambou derrière lui.
-Eille, tu vas toute salir notre place.
-Pis!
-Pis chus tanné d’être ton ami!
Il devint pâle ce qui n’eut l’effet que de faire virer sa peau d’un vert feuillage vers un vert tendre.
-Steve???
-J’ai décidé que je ne voulais plus être ton ami! dis-je, la voix tremblotante.
-Euff! Il s’étouffa de nouveau.
-Je veux plus te voir, je ne veux plus que tu viennes me réveiller le matin, que tu m’appelles non plus.
-Pourquoi?
Il pleurait à chaudes larmes.
-On est pas pareil toi et moi. Je suis pas un sportif moi. Je suis sérieux, bon à l’école pis toi tu fais toujours le con.
Je ne pus poursuivre plus longtemps ma rhétorique boiteuse. Marco, la voix pleine de sanglots et les yeux noyés me supplia avec verve et sincérité de rester son ami. Son seul en fait. Les autres ne faisaient que profiter de son envie d’être aimé. Il me convainc. Sous condition de ne plus venir tôt chez moi pour attendre que je me réveille. Il accepta bien sûr mais la résolution ne dura qu’une semaine, le temps de purger une prévisible punition. Il fut reclus chez lui par sa mère, le temps que sa peau reprenne une couleur humaine. J’allais jouer chez lui l’après-midi. Sa mère me citait toujours en exemple. Pourtant.
Après avoir souper, le noyaux dur de la bande se retrouva encore une fois sous le lampadaire devant la maison des Fafs. Les Nolettes et moi, de manière spontanée, nous rencontrions toujours le soir venu. Marco, absent cette fois-ci, trempait probablement dans le varsol sous le regard découragé de sa wallonne de grand-mère.
L’hiver venu, lui, les Fafs et ma sœur venaient grossir la troupe afin de rendre les matchs de hockey plus intéressants. Nous jouions alors dans les sens de la largeur afin de ne pas toujours courir la balle. J’ai peine à imaginer que cela soit désormais source d’intolérance. Je me demande bien ce que nous aurions faits de ces centaines de soirées ou le rire, la compétition et la violence bien sûr rendait notre vie aussi excitante qu’une échappée de Peter Stastny.
Les deux filles, Nath et ma sœur, étaient particulièrement habiles à ce jeu hivernal, car plus âgées donc plus corpulentes que nous. De plus, ma sœur avait le kit complet de la partisane ultime des Nordiques. Le manteau, la tuque à pompon et les gants fleurdelisés lui donnaient un look de fanatique attardée. Le genre qui s’assoit sur le banc des innocents dans le bus en balançant son tronc d’avant en arrière. Encore une autre différence majeure avec notre époque, les gens choisissent maintenant cette place en premier dans l’autobus, se consacrant eux-mêmes innocents par le fait même, d’autant plus qu’ils ne se lèvent pas quand des vieux embarquent, ce qui confirment l’état mental desdits morons. Dans le cas de ma sœur, on ne pouvait dire que son apparence s’accordait avec sa personnalité tellement elle était brillante et performante à l’école. Par contre, cet accoutrement ridicule s’accordait bien avec sa fougue dans ce sport.
Or, ce soir-là, nous n’étions même pas assez nombreux pour faire une partie de botte-la-canice digne de ce nom. En temps normal, les après-midi de baseball de rue étaient à coup sûr suivies par des soirées de cachette extrême. Le lampadaire faisant office de base autour d’un territoire savamment défini.
Alors que nous nous demandions le reste de la bande allaient se joindre à notre flânerie, Gre se pointa, arrivant par l’entrée de sa maison, un restant de bouteilles de Coke à la main. Dans le soleil couchant, cela avait toutes les allures d’une pub sociale sur l’obésité. Alors qu’il s’apprêtait à venir poser son gros derrière près des nôtres déjà bien installés sur la chaîne de trottoir, sa mère sortit sur la galerie pour héler notre gras compagnon.
-Pha-a-ane! (C’est le sobriquet tout maternel qu’elle donnait à son gros bébé)
-Quoi là! répondit-il d’une manière sèche comme si elle venait d’interrompre une opération à cœur ouvert. Ma mère m’aurait grondé pour moins que ça. La sienne semblait y être habituée.
-Phane, oublie pas que tu m’avais promis de ramasser ta chambre après souper.
Le géant s’emporta en criant de plus en plus fort de cette voix d’enfant aussi grave que celle de plusieurs hommes adultes.
-C’est pas rien que ma chambre, mon frère aussi fait le bordel.
-Faut que tu donnes l’exemple pis c’est à toi que je le demande mon beau. répliqua-t-elle le plus autoritairement possible, ce qui, à mes oreilles, sonnait presque comme un encouragement.
-C’est beau, j’ai compris, tantôt! Conclut-t-il en se laissant choir sur la bande de pierre bordant la rue.
Fanroi sentait le besoin, d’en rajouter à cette petite humiliation publique.
-C’est vrai que c’est pas ton frère qui va t’aider à ramasser, y a pas l’air bon à grand-chose.
-Ta yeule!
- À part le Commodore 64, y a aucun talent! Y vient pus jamais jouer au hockey pis quand y vient au baseball, personne le veut dans son équipe. renchéri Bison.
-Criss, y a mon âge! précisa Jeep.
Gre eut alors un mot qui cloua le bec aux frères.
- Peut-être, mais quand tu seras aussi fort que lui sur un ordinateur, je vais me faire poser un vagin dans le front.
Le tas de viande avait une propension certaine à la vulgarité qui ne cessera de s’accentuer avec les années. Après dix secondes de silence, je tentai d’apporter le débat ailleurs.
-J’ai vu à la télé qu’un jour, on aura tous un ordinateur chacun. Moi chus prêt, j’ai déjà le mien.
-Ouin, c’est un Vic 20, c’est dépassé. Qu’est-ce que tu veux faire avec ça. Ça te prend au moins 64K, comme le notre. Au moins c’est mieux que le Texas instrument de Marco.
-Pas grave! Je l’aime mon Vic 20, y est neuf. Pis les jeux sont l’fun. Pas hot comme les jeux olympiques sur ton 64 mais quand même. Toi, c’est la manette qui fait la différence. avançai-je.
Alors que Gre s’apprêtait à acquiescer, la voix empâtée de fructose de sa mère rebondit sur l’asphalte.
-Pha-ane! Ta chambre!
-Oui, oui dans deux minutes! mugit-il.
Le trio Nolette saisi la belle occasion.
-Phane!Pha-aaa-ane! Phaphane! Phephane!
-AAAAAAH! rugit Gre en beau caliss.
Vint alors le coup fatal. La mère Grelu, impatiente malgré son calme de tortue des Galapagos, sorti une troisième fois sur le balcon pour appeler son gars afin qu’il entre faire sa corvée.
-Pha-a-ane! Phane! Ta chambre! Phane, ta chambre a’pleure!
Cette phrase nous fit tous crouler de rire. Nous rigolâmes ainsi pendant une bonne dizaine d’années. Elle fut aussi l’inspiration pour une chanson dédié à notre copain Gre. Écrite à la va-vite pendant mon cour de psycho-cochonne et décomposé d’un vieil air country-western, ce fut l’une de nos premières compositions. Vibrante d’émotion.
Gre parti consoler sa chambre, nous nous retrouvions donc que quatre
bougres. La soirée risquait de prendre une tournure un peu ennuyante. Je proposai alors une petite virée au dépanneur. Situé dans le sous-sol d’une maison unifamiliale de la rue Trudelle, notre petit dépanneur était tenu par un couple. La moitié féminine du duo tenait le fort la plupart du temps. Suzanne, une belle femme rousse dans la quarantaine, était d’une douceur, d’une patience et d’une compréhension peu commune avec la bande de joyeux morveux que nous étions. Il faut dire qu’à cette époque, les bonbons se vendaient à la cenne ou même trois pour un cent. Vu q’on en demandait quelques fois pour près d’un dollar, Suzanne sortait une vielle balance en cuivre et y allait à l’œil, ce qui bien sûr était souvent à notre avantage.
-Moi j’ai 35 cennes, je vais pouvoir m’acheter un chips Hostess au ketchup, dis-je avec fierté.
Les deux plus jeunes ayant déjà dépensé leur allocation, ils sautèrent sur leurs bécanes pour aller dénicher quelques bouteilles vides gisant dans les recoins du terrain du jeu ou les ados allaient prendre leurs premières cuites. Ils étaient revenus moins de dix minutes plus tard avec chacun deux bouteilles, soit un gros dix cents de bonheur.
Nous fûmes vite de retour de cette courte expédition, à nouveau assis sur la chaîne de trottoir, sous la lumière jaunâtre du lampadaire. Jeep et Bison avaient eu juste assez pour des petit jus en sacs trop sucré, tandis que Fanroi moi avions notre chips Hostess au ketchup, le summum dans le genre, complètement rouge de saveur. De plus, un sac sur deux contenait un coupon offrant un deuxième gratuit. Le record vient de Fanroi qui en a mangé quatre en ligne en payant seulement le premier. Alors que nous nous échangions chips rouges contre gorgées de jus bleu, Fanroi engagea la parlotte.
-J’ai écouté l’album de Police, l’autre fois. C’est vraiment bon.
Jeep sursauta
-Eille. C’est mon band ça. Choisi-en un autre. C’était pas les Beatles toi.
-Moi c’est Kiss en tout cas, rota Simon.
-Moé, j’aime plus la radio, je me fais des cassettes en écoutant CFLS. Des fois chus pas assez vite pis je manque le début de la toune. Pas grave, ça fait comme des mixes, dis-je, sûr d’être à la fine page.
-Ouin, c’est vrai que les Beatles c’est le meilleur groupe de tous les temps.
-Abbey Road, c’est le meilleur disque, renchérit-je.
En fait, mis-à-part les deux albums compilatoires rouge et bleu, je n’avais qu’Abbey Road à la maison. Lorsqu’on avait emménagé là, j’étais tombé sur des vinyles que la locataire précédente avait laissés dans ma chambre : celui de Beatles, que j’adorais ainsi que Houses of Holy de Lez Zep et Dark side of the Moon de Pink Floyd. Les pochettes m’intriguaient mais je trouvais la musique plate. Pour Pink Floyd, mon opinion n’a à peu près pas changé depuis.
- Le meilleur, c’est Sergent Pepper. affirma Fanroi.
Il poursuivit.
-C’est même le meilleur album de tous les temps de tous les groupes de toute la terre.
-Ah ouin!!? douta Bison.
-Eille, c’est moi le king en musique. Je vous ai tout fait connaître vos groupes que vous aimez, s’offusqua Fanroi. Je te dis que c’est bon. Venez, on va allez l’écouter voir.
Jeep se leva en disant.
-J’va allez demander à la vieille si Tarzan peut venir dans la cave avec nous autres
Jeep ressorti rapidement pour confirmer la réponse maternelle. Nous descendîmes alors dans le sous-sol bien aménagé des Nolettes. En fait, c’était plus beau que la plupart des salons que je connaissais. Fanroi, sortit alors le fameux album des Beatles et le déposa sur la table tournante. Nous écoutâmes la pièce titre sans dire mot. Alors que les deux plus jeunes frères examinaient avec curiosité l’étrange collage de la pochette en essayant de reconnaître quelques personnages, Fanroi et moi, bien calés dans le sofa mœlleux, furent pris de catatonie aux premières notes de She’s Leaving Home.
-C’est vrai que c’est trop bon. J’capote, dis-je, émergeant d’un coup de la transe dans laquelle la musique m’avait transporté.
-Y rien de meilleur. Personne va jamais battre ça. répliqua Fanroi.
-Exagère pas, dit Bison, tu connais pas tout. Y a peut-être des groupes meilleurs encore.
-Ta gueule p’tit con. Les Beatles ont battus tous les records et ils tiennent encore.
-On verra gros tas! répondit sèchement Bison, frustré de s’être fait fermer le caquet encore un fois.
Évidemment, Fanroi, pas vraiment gros mais plutôt joufflu, ne se laissait jamais insulter de la sorte. Bison subit donc un rossage en règle jusqu’à ce qu’il pleure, en boule dans le divan.
L’avenir lui donnera raison. L’année suivante, Michael Jackson vendit 25 millions de copies de son album Thriller (sur un total de près de cent million). Un record toujours en vigueur et qui ne sera sans doute jamais battus, quoique pourraient prétendre les distributeurs, l’industrie ayant bien changée.
Le père Nolette ne tarda pas à descendre pour apprécier la situation, Le cris et les pleurs de Bison furent suffisants à sonner la fin de cette récréative écoute.
-Je veux plus rien entendre! C’est-t-y clair?
Bison calmé, un Fanroi satisfait, interroga le petit groupe.
-Ça vous tenterai-tu qu’on se parte un groupe?
Les deux autres frangins acquiescèrent. Je n’était pas certain que le projet soit viable.
-On va-tu être nos quatre? interrogeai-je.
-Les Beatles étaient quatre. C’est le nombre parfait pour un groupe, rétorqua Fanroi catégorique et certain de son arithmétique musicale.
-Moi je vais jouer de la guit, dit Bison.
-Moé du drum, dit Jeep.
-Parfait, moi, je veux jouer de la bass comme Paul.
-Pis tu y ressemble en plus, opinai-je.
En fait, c’est ma sœur qui avait remarqué cette ressemblance.
-Pis moi, faut-tu que je chante? Chus ben que trop gêné. Va falloir que je pratique en maudit avant, conclus-je
-Ça va nous prendre un nom, fit remarqué Jeep. Moé j’appellerai ça The Bandits, c’est comme le contraire de The Police.
Bison était plus terre à terre.
-Qu’est que vous penser de Hoffman? Comme le nom de notre rue. J’ai toujours trouvé que ça flashait.
Fanroi, perplexe, proposa son idée.
-Tsé, ça nous prendrai un nom d’animal, comme les Beatles mais plus hot.
Nous firent alors l’énumération des bêtes les plus méchantes du règne animal : les tigres, les scorpions, les lions, les requins, les tarentules, les carcajous, les pirrhanas. Rien ne semblait coller.
Les aigles, suggéra Fanroi.
-Ouin, les aigles c’est bon pis ça va faire des t-shirt full beau, ajoutai-je.
Jeep semblait conquis. Bison avait cependant une réserve.
-Faudrait un nom en anglais par exemple si on veut pogner partout comme les Beatles.
-Aigles, c’est Eagles. The Eagles. Ça sonne ben, oui, confirma Fanroi.
L’idée était lancée. Un groupe de quatre avec un nom d’animal. C’est sûr que ça allait faire fureur. Officiel! Comme on disait à Charlesbourg à cette époque.
Je quittai le sous-sol puis la maison du trio pour rejoindre l’appartement familial et finalement ma chambre aux murs tapissés de poster pris dans l’hebdo Le Lundi. J’eu énormément de difficulté à m’endormir. Je fixai longuement le poster d’Anvil représentant une enclume en feu que mon père m’avait rapporté de son travail, à Place Laurier. Déjà, je me voyais sur scène à chanter pour les filles, en impressionnant les gars. Cette vison n’allait plus jamais me quitter. Jamais.
Le lendemain, j’émergeai du sommeil plus tard que d’habitude. Des élucubrations mentales m’avaient taraudées une partie de la nuit. L’absence de Marco à mon chevet matinal y était sûrement aussi pour quelque chose. Il était assigné à sa chambre, vert de honte.
À cette époque, je prenais encore un petit déjeuner et les rôties au beurre d’arachides trempées dans le lait des mes Honeycombs firent encore une fois le travail. Le téléphone retentit alors que je me brossais les dents. Le gros Gre.
-Tu fais? Gromela-t-il.
-Te parles. Répondis-je avec un esprit de bottine.
-Viens-tu dehors, on pourrait se lancer la balle en attendant les autres pour une game, proposa-t-il.
-Ouin, c’est bon, j’pogne ma mite pis j’arrive, conclus-je avant de raccrocher le petit téléphone à bouton, symbole de l’avancement la technologie des télécommunications de l’époque.
Le ciel était du même bleu que le plafond de l’église Saint-Charles Borromée. Un bleu saint, un peu délavé. On se garrochait le globe de caoutchouc à poil jaune avec nonchalance.
-Criss Gre, si t’es pas capable de lancer dwètte , c’est moi qui va se mette dans le haut de la côte. J’cours comme un innocent.
-Moumoune!
Je lançai alors la balle le plus loin que je le pus mais rendu en haut de la rue, elle roula jusqu’en bas pour aboutir dans le gant du colosse sans qu’il n’ait eu à bouger son gros fessier.
-Ha! Raté!
Il s’apprêtait à me relancer la balle mais stoppa en milieu de motion. Son attention et la mienne furent portée sur les deux gros peupliers de Lombardie qui bordaient la rue, entre la maison des Fafs et le bloc blanc. Un homme équipé d’un attirail de bûcheron de course jaugeait un des deux imposants végétaux. Grelu s’avança alors pour le questionner.
-Allez-vous couper des branches monsieur?
L’homme toisa l’enfant géant d’un air ennuyé et daigna répondre.
-Pas les branches, tout. Les deux, jusqu’à terre. On va agrandir le parking du bloc.
Mon coeur de 4-H-gardien-des-ressources-naturelles se serra. Pourquoi couper de si beaux arbres? Résigné, nous nous assîmes sur la chaîne de trottoir faisant face au futur stationnement. Le gros cave à la scie mécanique visiblement n’avait pas souvent couper d’arbre. Trois quart d’heure plus tard, le moment funeste était imminent.
-Ok les jeunes, bougez pas! gueula autoritairement l’assassin.
Quelques tours de chaînes plus tard, l’arbre quinquagénaire se mit à basculer d’abord lentement puis tomba d’un coup sec dans un fracas qui nous laissa pantois en raison de ce qui se produisit ensuite.
La silhouette d’un peuplier de Lombardie peut rappeler de gros balais de sorcières plantés dans le sol. Les premières branches étaient au moins à douze pieds du sol ce qui empêchait pratiquement toute tentative de grimpe. On avait déjà réussi en se faisant la courte échelle mais les branches touffues et serrés offrait peu de possibilités. Toujours est-il que les deux balais grand format étaient situés juste derrière le troisième but de notre terrain de baseball de rue. Avec les années, une quantité importante de balles de tennis était restée emprisonnées dans cet entremêlement inextricable de branches. Nous disposions d’une grande perche pour en récupérer quelques unes, mais souvent l’opération ne faisant que repousser plus loin l’objet dans cette jungle sur pilotis. De plus, notre livre de règlements maison stipulait qu’une balle qui restait prise équivalait à un circuit. Ceci fit monter le nombre de balles perdues, chacun ayant tenté maintes fois sa chance.
Alors, lorsque le corps du premier vénérable s’affaissa en bordure de la rue, le choc libéra une douzaine de balles crottées qui se mirent à dévaler la rue. D’abord étonnés, éberlués même, puis enthousiastes, nous bondîmes en courant dans tous les sens pour récupérer les balles. Le même manège se produisit avec le second. Quelle récolte. Toutes des balles à circuit.
Si, nous avions récupéré nos balles, qui en fait étaient souvent des restants trouvés autour du terrain de tennis du quartier, nous avions tout de même perdu deux amis, deux beaux arbres. La rue changeait tranquillement et nous n’étions pas au bout de nos surprises pour cette journée.
Le trésor fut disposé en tas dans la cour de Gre. Nous passèrent l’après-midi à jouer aux Olympiques d’été sur son Commodore 64, Le nec plus ultra des ordinateurs et le meilleur jeu connu. Mis à part Q-bert bien sûr. Vers 15h00, on entendit le moustiquaire de la porte-patio glisser.
-Y-a-t-y kekun?
Gre beugla.
-Entre Bison, pis ferme la passe, pis enlève tes souliers, pis va donc chier!
-HA HA HA! (rire général)
-Pour les fois que t’en fais des bonnes, dis-je amicalement.
Bison était excité. Eille, a-tu-vu, les arbres, coupés, les deux. J’ai fouillé dans le tas de branches pis j’ai rammasé sept balles. Cool heun?
-Ouin, on sait, va voir dans la cour, on a en au moins 25.
-Tu-vrai? Eille, c’est presque toutte des balles que mon père a ramené de son tennis, je vais voir pis les ramasser. Je vais les reconnaître, c’est les meilleures balles que mon pères achète.
Évidemment, pensais-je.
De toute façon, on s’en foutait bien, il pouvait bien toute les prendre. Elles allaient toutes servir pour le même usage. Soit baseball, soit hockey. On y était toujours.
-Ben oui, ben oui! Répondit Gre distraitement , immergé dans son lancer du poids virtuel.
Bison alla donc chercher son petit frère et, les bras chargés de balles, s’en retournèrent fiers comme des pirates en parade.
Cette journée marquée par la mort prématurée de nos deux nobles peupliers fut suivie d’une soirée on ne peut plus surprenante, voire troublante pour les petits roitelets hégémoniques de la rue Hoffman que nous croyions être alors.
Marco, enfin libéré du bagne de sa chambre et arborant un teinte presque humaine, vint me chercher tôt après le souper. Nous étions à nous lancer une des balles que nous venions de retrouvées dans l’amoncellement de branchages laissé par l’assassin quant une voiture nous fit cesser cet échange un bref instant.
La voiture ne fit pas que passer comme c’est souvent le cas mais se gara doucement devant le terrain vague. Un homme inconnu en sortit. Nous l’observions avec la curiosité des enfants qui attendent une surprise. Et elle vint. Du coffre de son bolide, il sortit une pancarte et une petite masse. Il se rendit ensuite sur le terrain vague pour y planter la chose et repartit aussitôt.
L’opération devait avoir duré tout au plus deux minutes.
Inquiets et perplexes, nous nous approchâmes de l’affiche de bois car notre angle de vision nous interdisait toute lecture adéquate. Ce que nous y lûmes nous laissa pantois.
Va chercher les Nolettes, moi je vais rameuter Gre pis les Fafs, ordonnai-je à Marco d’un ton militaire. Faut qu’y voient ça, renchéris-je.
Quelques minutes plus tard, nous étions tous plantés là, comme attiré par la pouvoir hypnotique la pancarte.
TERRAIN À VENDRE
626-0706
Fanroi, duquel nous attendions tous une réaction intempestive, un verdict vengeur ou un appel à la révolte fut comme d’habitude fidèle à sa réputation belliciste.
-C’est une déclaration de guerre. Ben y vont l’avoir les caliss. Celui qui va acheter le terrain va en baver. Êtes-vous avec moi?
Comment être contre. Nous occupions et entretenions cet endroit depuis plusieurs années à en oublier que quelqu’un quelque part en était le propriétaire. Pourquoi le vendre après toutes ces années? Pour nous faire chier. Tout simplement. Tel était notre point de vue de petits empereurs frus.
Ce fut décidemment un été charnière. Les peupliers coupés, le terrain vague en vente et la rentrée venue et ma sœur, qui pour la première fois, ne fréquenterait pas la même école que moi. Elle ne le fit plus jamais d’ailleurs. Les Zursulines, très peu pour moi. De plus, ma mère se fit un chum, un gars sérieux, avec une bonne job. Tout le contraire de mon père, toujours empêtré dans de compliquées histoires d’amour, de cul ou d’autre manigances.
Charlesbourg 1984
Sans le savoir, c’était le dernier hiver que je passerais dans cette rue qui restera mon alma mater même si mon passage y fut bref comparé aux autres de la bande qui y avaient fait leurs premiers pas.
J’étais en sixième, enfin. Dans la même classe que Fanroi. C’était mon pote, oui. Au début de l’année, nous étions même en équipe, les deux pupitres collés . J’avais l’habitude d’être le meilleur de la classe et Fanroi était aussi fort quoique plus nonchalant. En quatrième, alors que nous n’étions pas dans la même classe, j’avais gagné un concours d’écriture du Journal Le Soleil, une sorte de compte-rendu d’une journée d’activités artistiques organisée à l’école. Devançant les grands de sixième, j’avais été publié en gros caractères, dans le cahier pour enfant de l’époque, Crayons de Soleil.
Il avait aussi été publié mais en petits caractère. Mon texte était bon mais surtout, plus long. En plus que lui, il disait que son meilleur moment était sa rencontre avec le professeur Toutenson, le prof de musique de Gronigo à la télé. Tellement pas son genre. Licheux. Il me reprochait alors et le fera longtemps, de trop aimer l’école et surtout de mettre un temps fou à faire mes devoirs et travaux. Comme on dit, j’en mettais plus que le client en demandait.
De toute façon, nous avions été détrônés deux semaines après le début des classes. Un matin, Gaby, notre masculin prof, d’un ton solennel et autoritaire, nous présenta une petite nouvelle qui débarquait de Montréal.
Une belle grande blonde aux cheveux aux fesses. Moi, je remarquai immédiatement son cul sculptural presque aussi parfait que celui de ma Nancy suprême, dans ses jeans hyper serrés avec pas de poches. Je succombai.
Devant la pamoison évidente de Fanroi, je consenti à lui laissé le champ libre, ce qui était inutile vu sa grande timidité avec les filles, mis à part avec ma sœur. Elle, sa soeur plus jeune était de l’âge de Jeep et était d’une beauté totale. Elle fait maintenant les pubs de sa propre entreprise de pneu à la télé de Québec. Elle est encore pas pire.
Pour ma part, j’étais aux anges question fille. Les deux plus belles, selon moi, étaient réunies enfin, toutes deux, dans ma classe. Mes deux Nancy, une grande brune et une petite noire à la mode de 1984. Un K-way rouge pour la noire, un bleu pour la grande. Des espadrilles blancs et les fameuses jeans avec pas de poches qui nous présentaient leurs postérieurs comme des fruits turgescent à la peau parfaite. Contrairement à aujourd’hui où l’on peut voir l’effet de la somatropine des viandes d’élevage sur les poitrines en devenir, il n’y avait qu’une seule de nos compagnes affublée de seins. Des gros à part ça. On trouvait ça presque étrange. Même sous un épais coton ouaté, la pauvre avait peine à cacher se deux obus d’amour. Évidemment Marco, aussi dans notre classe, jeta son dévolu sur elle et se vanta de les avoir vu, et même d’avoir pu les peloter.
C’est sans doute la raison pourquoi, devant cette quasi absence de signe pubère chez les filles de notre âge, les fesses restaient l’attribut féminin le plus significatif pour ma sexualité naissante. Dans mon cas, cela faisait longtemps que ma venue au monde sexuelle avait eu lieu. Je me souviens avoir eu des phantasmes érotiques impliquant deux de mes nouvelles camarades à la première journée de la première année du primaire, Il y avait cette pulpeuse blonde bien roulée qui s’appelait Vachon et une brune envoûtante au nom de Lafrenière. J’imaginais donc que la maîtresse nous laissait, elles et moi, vaquer à des occupations plus excitante en classe.
Dans le petit coin de lecture aménagé au fond de la classe, sur des coussins carreautés, tout nus, je régnais sur mes deux esclaves sexuelles avec fermeté. Je tairai par contre les détails de mes vices enfantins, au risque de frustrer les plus pervers que moi.
À rebours, je constate n’avoir rencontré qu’une seule personne m’ayant confié avoir eu le même genre de pulsions précoces. Je voyais bien que les autres garçons n’était pas aussi portés vers le sexe mais comment en être sûr vraiment. Ce n’est pas le genre de discussion qu’on des gars de sixième et jamais n’ai parlé de filles avec Fanroi de toute façon.
J’avais par contre le loisir d’aborder le sujet fréquemment avec mes deux nouveaux potes, Dave et Donald. Alors que tous étaient regroupés en équipe de deux, je fis tout d’un coup partie du seul trio de pupitres de la classe. Qui plus est, il était presque collé au bureau du professeur, endroit inhabituel pour la tronche que j’étais. J’avais donc émigré du fond de la classe où j’étais en équipe avec Fanroi vers l’avant, lieu privilégié des cancres, des quasi-mongols et autres lunatiques. L’événement avait fait suite à une campagne de terreur mené à mon endroit par Fanroi. Trouvant ça sûrement bien comique, il avait usé de l’emprise naturelle qu’il exerçait sur autrui pour me rendre la période de récréation infernale. Pendant le premier mois de l’hiver, je n’ai pas dû avoir ma tuque sur la tête plus de dix minutes et lorsque je l’avais, elle était rempli de neige mouillée. Bouillons, bousculade, bascule, les sbires de Fanroi exécutaient tous ces désirs de persécutions sans qu’il n’ait à lever le doigt, pouvant ainsi rester à l’écart à se bidonner fermement, la face toute rouge.
Je m’en aurais sûrement plaint si Fanroi avait agi de même façon lors de nos joutes de hockey de rue mais il avait un comportement tout autre hors du contexte scolaire. Ses frères n’étaient bien sûr pas en mesure de me terroriser comme le faisait si bien les pauvres limaces qui suivait ce baveux en chef dans la cours de récré. En vérité, c’est une de mes admiratrices secrète qui s’en ait chargée. Peut-être même une de mes Nancy. J’ai toujours imaginé que c’était une fille qui avait dénoncé les agissements de Fanroi. En fait, je connais son nom : Geneviève. Quoiqu’il en fut, le digne Gaby, notre prof, sauta conséquemment sa coche et enguirlanda Fanroi en pleine classe pendant une bonne demi-heure afin de bien marquer les esprits.
Fanroi ne broncha pas. La flux de réprimandes semblait galvaniser davantage sa carapace de petit semi-tyran. Imperméable à ce sermon, je l’imaginais préparer sa vengeance. Or, Gaby étant un fin lecteur des âmes, avait bien compris cet aspect du personnage et afin de me protéger, m’avait placé en équipe avec les deux autres mâles alpha de la classe, soit les deux sportifs. En fait, ils excellaient principalement en deux activités. Premièrement, ils étaient les meilleurs au ballon prisonnier, étant les capitaines de leurs équipes respectives et du harem en découlant, sans blague. Et, la deuxième étant le corollaire de la première, ils étaient les coqueluches de toutes les filles de l’école. Comme si la capacité de garrocher un ballon en pleine face de ton vis-à-vis était la plus grande des qualités recherchées chez les gars. L’arrangement était donc le suivant. J’aide mes camarades dans leurs études et travaux scolaire et en contrepartie, ils deviennent mes gardes du corps.
Le stratagème fonctionna complètement et en bonus, je gagnai le respect de Fanroi et une nouvelle image auprès des filles, la tronche cool en quelque sorte. L’hiver se déroula ensuite sans anicroche. Ou presque.
En fait, notre nouvel ennemi, l’acquéreur du terrain vague, avait entrepris de construire les fondations de sa bicoque juste avant les premières neiges. Vu que l’hiver était particulièrement sec cette année-là, il avait même pu les compléter. La résultante était la perte directe d’une aire idéale pour la construction de nos forts. À chaque hiver, au centre de ce terrain, poussait une petite montagne de neige soufflée par les machines. De la neige compacte et dure dans laquelle on avait déjà construit un igloo ou plutôt creusé un quimzy. Ce chapitre récent dans le conflit latent entre l’heureux propriétaire et nous avait inspiré Fanroi. Ce fouteur de trouble portera désormais le nom de Bozo.
Nous étions plus frustrés que tristes. On nous vole notre îlot de verdure et l’hiver se cache, se laisse désirer. Le temps inadéquat ne faisait que rajouter l’insulte à l’injure pour les hockeyeurs sur macadam que nous étions.
Notre grande sagesse pré pubère ne viendrait sûrement pas tempérer ce sentiment d’injustice. Vengeance ciboire!
Un peu avant Noël, en cette année qui voyait le clip de Thriller marquer son époque (Rajotte fit jouer tout l’hiver à l’émission Radio-video, sur le câble Cogeco), la neige tardait donc à recouvrir les pelouses de l’avenue Cloutier à une époque ou le réchauffement climatique rimait encore avec un simple redoux.
En fin d’après-midi, à la sortie des classes, le temps était toujours gris et venteux. Trop froid pour le baseball, la météo ne nous incitait pas non plus à sortir notre équipement de hockey. Désoeuvrés, lambinant, nous remontions la côte vers la 76e rue afin de rejoindre la rue Hoffman. Gre, Marco, moi et les Nolettes portions tous un sac Adidas de couleur différente sur l’épaule, mode de l’époque oblige.
En passant devant le Texaco, nous remarquâmes une voiture clinquante. Sur le côté du garage étaient stationnée une Corvette verte métallique d’un modèle assez récent. Vu que nous passions toujours par le terrain du garage pour prendre un raccourci menant directement au terrain vague, les garagistes ne se souciaient pas de notre présence outre mesure. Cette fois-là n’y fit pas exception. Hors de leur champ de vision, nous passâmes en revue les différents rebuts entassés pêle-mêle afin de voir si un quelconque Graal n’y avait été balancé. Nous avions déjà fait œuvre de récupération en transformant de vieux pneus en siège pour nos igloos. Le fessier bien calé dans un pneu, nous pouvions papoter des heures sans se geler l’entre fesse.
Marco, que Fanroi surnommait Narcisse Lajoie, nom d’un clochard mythique, en raison de sa propension à farfouiller dans les ordures afin d’y trouver des choux gras, mis la main sur un catalyseur déconfit qu’il utilisait tel une masse d’arme. Les tuyaux dans la main, il faisait tournoyer l’objet tel un Bruce Lee mongoloïde. Il n’en fallait pas davantage pour éveiller la malice de Fanroi qui mit au défi notre karatéka d’opérette. Sa mission : détruire, briser, vandaliser. L’objectif : La Corvette verte, garée à l’abri des regards en attendant je ne sais quelle opération mécanique. Sans réfléchir plus d’une seconde, (le contraire aurait été une première, notre Chuck Norris des pauvres), d’une motion exagérée, point d’orgue d’une chorégraphie martiale presque crédible, envoya percuter violemment sa masse d’armes maison sur a fibre de verre verte du bolide.
Le résultat fut à la hauteur de nos attentes et il ne resta plus qu’à prendre nos courtes jambes à nos cou en fuyant par le passage derrière les haies et les clôture des fonds de cours, sorte de mini no man’s land linéaire.
Rire à en pleurer, jusqu’à ce que les zygomatiques te brûlent et le diaphragme devienne douloureux. Étrange de sens de l’humour, certes. La profonde rayure sur la Corvette n’était cependant pas le sujet de cette rigolade mais plutôt l’incorrigible impulsivité de Marco, qui encore une fois avait suivi aveuglément les directives machiavéliques de Fanroi. Aussi, ce genre de petits méfaits nous donnait l’impression de vivre, d’avoir une vraie prise sur le réel. C’était faire une courte escapade dans le monde des adultes en leur signifiant notre présence d’une manière qu’ils ne puissent ignorer. Imposer sa présence dans l’arrogance de la petite violence matérielle.
Dans ce cas précis, nous n’en avons jamais entendu parler. Le Gino, tel notre imagination le concevait, ne nous suspectait sans doute pas car ignorait notre existence. Il faut souligner ici que d’autres du même acabit nous avaient déjà donné du fil à retordre, notamment le gros Maurais, un baveux, amis du grand frère de Nath qui se plaisait à nous invectiver et rire de nous dès qu’il descendait de son horrible muscle car brun sapolin, la bedaine d’abord. Un autre, plus hargneux, nous avait poursuivi à pied une fois que sa camaro eut reçu un des nombreux cônes de pain encore verts que l’on lançait sur els voiture, cachés derrière l’immense arbre du sis au coin de la rue. Dans le fond d’une cour, en plein noirceur, il avait mis le grappin sur Simonak, lui laissant une profonde marque au cou. Mais, ce genre d’événements n’était pas pour freiner nos vandales ardeurs. La soirée était encore jeune. Jeunes, nous l’étions. Presque enivrés. Fous. Libres.
Toujours en possession de l’arme du crime, Marco, maintenant mû par son éternel désir d’en mettre plein la vue et de démontrer son intrépidité, fila son chemin jusqu’au bout du terrain de Bozo, en se faufilant le long des haies de la maison du docteur. À une quinzaine de pied, derrière la clôture de grillage métallique s’élevait un complexe d’appartement semi luxueux, pompeusement nommé Le Château. Nous pouvions donc contempler 5 étages de balcons de béton et de portes-patios. Un peu la mode condo drabe en béton et toc avant l’heure. Poussé par les encouragements et les rires de Fanroi, Marco lança l’objet contondant dans la porte patio la plus proche. L’effet obtenu fut lui souhaité et l’air froid et humide de l’hiver s’engouffrait maintenant dans le salon que nous imaginions cossu.
Le moment qui suivit, la fuite, est de ceux qui génèrent en nous une excitation sans limite, un buzz d’adrénaline instantané. Le vandalisme, dans le fond, était notre sport extrême à nous. Du moins, nous en tirions assez de plaisir pour vouloir tout de suite réitérer la chose. Dans une frénésie inexplicable, je me joins à Marco pour tirer de la caillasse sur la maison des Fafs. Mon premier tir, un petit projectile gros comme une bille ordinaire, atteignit le toit. Rajustant mon tir pour un deuxième caillou de même grosseur, j’atteins la grande baie-window du salon, produisant pour tout effet, un petit bruit de choc mais, aucun dommage.
Or, ce n’était pas là mon intention. A posteriori, je crois que je voulais excité davantage l’instinct de destruction de Marco en lui offrant de la compétition. Et, effectivement, il ne se laissa pas damer le pion. Saisissant la plus grossw roche qu’il put trouver, il s’élança tel un Bill Lee en crise de nerf et atteignit la grande vitre en plein centre. Le verre bien solide ne céda pas mais une immense fissure étoilée se dessinait maintenant sur la surface polie. Le résultat nous surpris tant qu’il clôt notre petite cavalcade nihiliste et nous courûmes tous nous réfugier dans nos demeures respectives. Nous ne pouvions pas aller plus loin sans risquer de se faire prendre.
Ce que nous en savions pas, c’est que Ti-Faf, bien évaché dans le sofa, écoutant distraitement la télé à travers ses fonds de bouteilles, n’avait rien manqué de la scène et des protagonistes impliqués. Alors, lorsque rentrant du travail, son vieux fous de père constatât les dégâts, ti-Faf n’eût d’autre choix que de vendre la mèche. Chose qu’on ne pouvait, bien évidemment, pas lui reprocher.
Quelle ne fut pas ma surprise quand un policier débarqua chez moi. Ti-Faf Ayant désigné Marco comme coupable, il avait reçu préalablement la visite de ce police et, pressé de livrer des possibles complices, il ne cita que mon, nom, alors que l’étincelle de la plupart de nos conneries était bien sûr Fanroi. L’agent m’expliqua que Marco, suite à des aveux et une promesse de rembourser, m’avait pointé comme deuxième coupable alors qu’aune de mes cailloux n’avaient causé de dommage. Spontanément et dans une tirade ratoureuse dont je suis encore fier, j’eus la présence d’esprit de répondre quelque chose qui ressemblait à cela :
« Vous avez donc trouvé votre coupable. Un vandale, un menteur, un voleur, tout le monde sait ça. Ce n’est pas la première fois que vous l’arrêter d’ailleurs. Alors, comment croire quelqu’un qui n’est pas fiable et menteur. En plus, il ne vous l’a pas dit, mais il a aussi cassé la fenêtre du Château »
Quel couillon je fus! Mais, quelle habile parade par contre. Vu que le coupable était désigné, il était bien inutile d’en trouver un second. Aussi, il est clair que la parole d’un criminel n’a aucun poids face à celui d’un petit gars sage comme moi, prêt à vendre son ami pour se sauver des conséquences de ses actes. Or, confronté à mon argument, le constable de Charlesbourg ne put aller plus loin dans son accusation. Mais, sachant bien que j’avais tout de même quelque chose à voir avec l’histoire, m’emmena m’excuser auprès du locataire du Château dont ont avait amélioré l’aération du salon. Ce que je fis dans la plus grande honte mais tout de même à demi content de m’en être sauvé. Sauvé surtout de la punition attendue si ma mère n’avait pas cru mon histoire. Dans cage d’escalier du Château, je croisai Marco qui revenait, piteux, de faire ses propres excuses. Il avait les yeux rougi. Il semblait tellement désolé. Moi, je n’ai pas pleuré.
La rue Hoffman, tout comme les rues attenantes, tenait son nom d’un ancien curé de la plus vieille paroisse de Charlesbourg, tout comme la rue Paiement, Godbout, alouette. Une vingtaine de bungalows s’y côtoyaient à une exception près, le bloc. Un bloc en clabor blanc de trois étages, construit dans les années quarante, semblait tout désigné à abriter les gueux du coin et leurs enfants, des rejets, évidemment. J’y demeurais, au deuxième étage avec ma mère et ma sœur dans le même appartement qui avait été le point de chute de mon grand-père et de ses 7 enfants trente ans auparavant.
Quoique ma famille ait été d’une classe plus que moyenne, les pauvres du coin étaient plutôt ceux de la rue d’en arrière, casés dans le seul vrai bloc à appartement en briques brunes du quartier. Ces malfamés aux mains collantes (pour moi, tous les pauvres ont les mains collantes à cause d’un excès de Mr. Freeze et de boules noires) constituait un groupe ennemi.
En solo, chacun était plutôt buvable et j’avais même quelques amis dans le lot. Mais en groupe, c’était une grosse bande de caves plus vieux que nous, qui venait détruire nos fabuleux forts de neige. L’automne venu, ils profitaient de la dénivellation de la rue pour nous balancer tous les fruits de deux vieux pommiers qui venaient s’écraser plus bas, sur la partie plane de la rue, prêt du lampadaire qui était le centre de notre monde, surtout le soir. Notre monde. Cette rue, son asphalte patchée et un terrain vague, chose rarissime dans le coin, que nous avions fait nôtre.
En cette chaude journée de la fin d’un été toujours trop court et qui me menait vers l’étape ultime de mon cursus primaire, la bande au grand complet était assise côte à côte, sur une chaîne de trottoir ombragée par une petite masse de peupliers. Entre deux parties de baseball dans la rue, nous profitions d’un peu fraîcheu. Nat était assis au mileu du chemin, sur le couvercle du trou d’homme qui faisait office de marbre de nos partie de balle. Perdue dans ses pensées, elle attendait de reprendre sa place d’éternelle receveuse. Face à elle, s’alignait la bande habituelle : Marco, Gre, G, Bison, Petit Faf, Fanroi, ma sœur et moi. Le niaisage habituel avait cours. La discussion était pour le moment complètement nulle étant donné le bruit assourdissant que faisait la vieille tondeuse des Faf. Grand Faf avait pris sur lui de maintenir ras le gazon du terrain vague, plus par goût des moteurs bruyants que par civilité.
Nous flânions donc en silence. Arrachant des brins d’herbes uns à uns, écrasant les fourmis égarées, regardant valser les petits éclaircis de soleil flirtant à travers les feuillages. La tondeuse se tu.
-Y était temps ciboire, marmonna Fanroi en faisant passer d’un geste sec, presque brutal, la balle jaune de sa main nue à son gant de baseballé
-J’ai pas hâte de le voir avec un char c’te grand dadais-là. Y va s’penser bon. ajouta ma sœur sous sa permanente bien sphérique surplombant d’immenses lunettes rouges. En tout cas, on est mieux qu’au patro. Chus ben contente cette année de pas y avoir été. Depuis que je suis dans les 4-H, ma mère m’oblige plus.
-Moé j’aimais ça le patro, dis-je par esprit de contradiction. Mais les 4-H c’est vraiment le fun.
-Fuck les 4-H., s’emporta Marco dans un but évident de provoquer gratuitement.
-Ta yeule bouffon, dit Gre, t’es même pas dans les scouts. Là t’aurais le droit de bitcher les 4H.
Fanroi en avait assez de notre gossage. Il sacra une bine à son petit frère G. non pas pour le saisir mais pour attirer notre attention.
Ouch caliss! G se rua sur son frère comme un pirate à l’abordage. Fanroi se bidonnait. Il contenait facilement ce petit bout d’homme, sa copie conforme avec 30 livres et 1 pied en moins.
Si je te lâche, tu arrêtes-tu? demanda le grand frère sous un ton menaçant qui sous-entendait toute une mornifle.
Pendant ce temps là, Bison, par dépit - sa fratrie se battait sans lui - me coucha sur le dos, les deux genoux sur mes bras afin de me tenir bien immobile. Il s’amusait à faire descendre un gros filet de morvia de sa bouche. Au dernier moment, alors qu’il allait atteindre ma figure, il aspirait la salive gluante du coup sec pour mieux recommencer. Ce petit jeu de yoyo devint vite l’attraction du moment. Malgré que Simon fut un professionnel du clam ainsi que du rot –il pouvait dire osti de calliss de tabarnac en rotant, d’un seul trait- je craignais que le mince fil de bave cède. Aidé par un claque derrière la tête, gracieuseté de Fanroi, le crachat de Damoclès fondit sur mon front dans toute sa viscosité.
Tout le monde rigola. Moi moins. Les rires stoppèrent net. Le père Faf remplit la rue de sa voix colérique. Nous vîmes alors Grand Faf passer en courant sur le terrain devant sa maison, la contourner et filer vers la cour arrière. Le grand sec était poursuivi par son père qui brandissait une ceinture en vociférant. Le silence se fit dès qu’ils eurent disparus derrière la maison. Chacun eut alors un frisson glacé à imaginer la suite.
-Ouin, je pense que vais rentrer chez moi, marmonna Petit Faf de la voix nasillarde que lui donnaient ses barniques pesantes. Il souleva son corps fluet et marcha vers le bungalow familial comme un condamné, dans l’indifférence la plus totale.
C’est que nous étions déjà tous en route vers la cour des Nolette, de l’autre côté de la rue. Il y trônait une piscine hors terre sertie d’un deck de bois écoeurant. Il faut dire que le père Nolette était associé dans une boîte d’architecture. La maison était sans contredit la plus belle de la rue, même comparée à celle du médecin, en biais, plus bas.
La fratrie possédait donc un ascendant social indéniable sur le reste de la bande. Du moins, ils suscitaient une certaine admiration ou envie. Jamais, par contre, ils ne nous le faisaient sentir ou remarquer directement. C’était plus subtil. Pas de lutte de classe. Tout résidait dans l’aspect des choses. Si ta maison, toi, ton linge, était laid, comme celle de Gre, cela devenait un objet de risée. A posteriori, je comprends que c’est du pareil au même.
Fanroi mit alors son éternel manége en marche. Marco et Bison n’allaient pas tarder à s’inviter dans la ronde.
-Eille. Bison, c’est comment donc que tu l’as appelé l’autre fois notre gros Grelu, ? demanda Fanroi.
-Grebibatte, répondit Bison
-Ha ha ha (rire général).
-Fanroi, caliss, c’est même pas drôle vos farces. Stie que vous êtes jeunes, vous autres. Vous avez toute des frames de chats. retorqua le colosse.
Gre! grogna Nath.
Moi j’ai faim de toute façon, y est déjà 3h00. J’vas aller bouffer, conclut Gre, en quittant la cour sans plus de manière.
-Va-t-en gros tabarnac. Tu pues. Y dois être faite en marde, c’te gros estie de ciboire du grosse bouse de caliss pleine de marde, beugla Marco au gros qui était déjà à distance raisonnable.
Il se mit ensuite à rire comme un cave. Il était toujours son meilleur public. Il poursuivit ensuite dans sa fougue habituelle.
-Retourne avec ta mère pustuleuse pis ton père avec sa perruque de moufette écrasée. Dans ta criss de belle cabane en blocs Lego. Ha Ha Ha! Pis ton frère, y es-tu capable d’aller pisser tu seul maintenant? Gre-lu! Grel-lu!
Toujours sans queue ni tête, sa gerbe d’insultes envers Gre était pour nous plus que convenue. C’était devenu banal et aujourd’hui je me rends compte à quel point Gre nous aimait pour avoir enduré tout ça.
Marco n’était plus arrêtable.
-Tchèquez la gang – il avait roulé ses manches et faisait des push-ups avec style, en soufflant comme un buffle. Il en rajouta.
-. Pensez-vous que Gre serait capable de faire ça avec son trois cent livres de graisse de chips. Marco se mit à rire si intensément que ses bras cédèrent et, se roulant dans la terre brunes et humide, beurra son beau t-shirt.
Tous s’esclaffèrent.
-Criss que t’es innocent, t’es tout crotté, lança Jeep.
-M’en fous, j’en ai plein du linge. Mon père y fait du cash pis mon parrain y a une Lamborghini. Fa qu’un t-shirt des Nordiques laitte, j’en fous.
Il attrapa alors le col de son t-shirt à deux mains et le déchira de bas en haut, non sans difficulté.
-AAARghhh! Hulk! fit-il.
-C’est vrai. T’es quasiment aussi laitte, dis-je, en feignant une méchanceté qui ne me seyait guère.
T’en rappelles-tu quand t’étais jeune, tu voulais nous faire à croire que ton père était vraiment l’incroyable Hulk. Étais-tu vraiment stupide ou tu pensais-tu que nous, on allait croire quelque chose de zouf de même, opina Fanroi.
-Pfeuh! Chus fort en criss, ça c’est vrai! Mon père est peut-être pas Hulk pour vrai mais il est fort comme Lou Ferrigno. Il s’entraîne.
-Entretemps, Bison et G étaient allé chercher dans le cabanon, un restant de teinture verte au créosote- sûrement un restant de la teinte des clôtures de bois- dans le but évident de faire un mauvais coup. Bison interrogea le mini-macho au torse nu.
Veux–tu ressembler vraiment à Hulk, enwoye ça va être cool. Après on va aller faire peur à petit Gre, proposa Bison comme si c’était quelque chose de normal.
-T’es-tu malade, ça tache mort, protesta Marco.
C’était le moment choisi par Fanroi pour lancer la traditionnelle réplique qui rend toute contre-argumentation impossible.
-T’es même pas game petit con!
Sans prendre le temps de réfléchir, ce qui était la norme dans son cas quand il entendait « T’es pas game », Marco se laissa peindre le torse et la face à la teinture verte.
-Pouahh! Criss pas dans bouche Bison, c’est dégueu.
Fanroi, riant tellement qu’il était tout rouge, plié en deux.
-Ok, c’est beau, fait ton Hulk! Commanda Bison en riant.
Il s’exécuta de manière admirable, la bouffonnerie étant sa spécialité.
Alors que l’on se bidonnait ferme, la mère des Nolette qui devait venir juste d’arriver mais que l’on n’avait pas entendu, fit glisser le moustiquaire de la porte patio afin de souligner sa présence. À la vue de l’imbécile couvert de teinture verte, elle lança sèchement :
-Bison, G, venez ici tout de suite, j’ai à vous parler…
À mon avis le gaspillage de teinture était plus une faute pour elle que le barbouillage terroriste du corps de Marco.
Étrangement dociles, les deux frères s’exécutèrent sonnant le glas de cette sombre comédie. Marco et moi remarquâmes alors que Fanroi avait eu le réflexe de se pousser avant l’arrivée de sa mère. S’il avait bien entendu la petit Toyota se garer, il ne s’était visiblement pas donné la peine d’en glisser mot à ses deux frangins. Personne n’en avait eu connaissance. Ma sœur avait elle aussi filé à l’angolaise.
Nath, quant à elle, ne trouvait jamais drôle nos mesquineries, par incompréhension ou un absence de sens de l’humour évident. D’un geste athlétique, elle bondit par-dessus la clôture qui séparait la cour des Nolettes de la sienne et disparu à son tour, pour souper. C’était notoire, sa famille mangeait à l’heure de poules, soit quatre heures.
Soudainement devenu un duo, moi, et Marco qui n’était nullement gêné par son épiderme vert, nous dirigeâmes d’un pas indolent de presque ado vers notre cachette secrète.
Ce camp, comme nous appelions tous les endroits ou nous aménagions de façon sommaire un semblant de confort, n’était en fait qu’une petite clairière d’un mètre carré dans une masse de renouées du japon. Cette plante, un genre de bambou hyper envahissant, pousse de 2 mètres en un mois et la densité et son feuillage en fait un parfait havre d’intimité. Située dans un endroit pas très bucolique, cette masse végétale touffue poussait le long d’une clôture en grillage de métal séparant le stationnement de gravelle de mon bloc de celui du bloc brun des pauvres de la rue Trudelle.
Marco et moi se retrouvions souvent en ce lieu et y faisions souvent, tôt dans la journée, notre plan de match journalier. Marco et moi étions de très bons copains ou plutôt, j’étais le sien. En fait, je me sentais prisonnier de son amitié excessive. Hyperactif évident - il ne sera diagnostiqué seulement que vers trente ans - il se levait à l’aurore et ma mère, qui le jugeait avec trop d’indulgence car son père était une ami d’enfance, le laissait attendre mon réveil dans ma chambre lorsqu’il se pointait à 7h00, tous les matins que l’été apporte.
Marabout au possible dans les premiers moments d’éveil, je ne manquais pas d’émettre quelques commentaires désobligeants à son endroit lorsqu’en ouvrant l’œil, je l’apercevais assis dans le divan lit brun près de mon lit, lisant un Astérix ou un Archie.
-Ah non! Va-t-en, je dors. Laisse-moi donc de moi vivre! gromelai-je.
Lui, plutôt, était d’une patience absolue face à mon sale caractère.
-Ben non Steve, capote pas, il fait beau, lève-toi paresseux, c’est l’été.
Si j’avais été violent, je crois que je l’aurais sorti à coup de poing mais déjà cette époque, Marco était fort athlétique alors que moi j’ai toujours été un maigrelet chicot. Ce gars voulait être mon ami, un des meilleurs que l’on puise avoir. Fidèle, présent. En quatrième, alors que j’étais nouveau dans l’école et demeurait dans les blocs de la rue Paul-Comptois, il avait trouvé mon adresse et un soir, était venu me chercher pour jouer.
Mon premier ami du coin. On s’est toujours bien entendu, même quand il a volé les billes lunes mastodontes de ma soeur avant d’avouer son crime et de lui rendre afin de pouvoir demeurer pote avec moi. Faut en vouloir des amis pour renoncer à un tel butin.
Moi, enfant, je ne voyais que la tache à marde en lui et en cet après midi, dans notre cachette de bambou polaire, j’ai pété ma coche. Peut-être parce que je me suis retrouvé subitement seul avec lui après que l’on l’ait ridiculisé en groupe. Le voir, accroupi, la peau verte comme le géant des cannes de petits pois lui donnait un air si stupide que je ne pouvais pas considérer plus longtemps être associé à cette pitrerie ambulante. Marco avait compris depuis belle lurette l’adage qui veut que si on ne vaut pas une risée, on ne vaut pas grand-chose. Il l’avait en fait complètement assimilé et n’était que risée.
C’est quand il sortit son paquet de cigarette que je virai fou.
-Non, pas encore, ça pue ça, C’est con.
-Ben non, tapette. C’est parce que t’es pas game. Je suis plus mature que toi, c’est tout.
Son paquet était tout blanc, sans marque ni nom. Un homme mystérieux qu’il avait rencontré à L’OTJ lui en donnait un par semaine. Supposément pour tester des nouvelles sortes. Un test humain sur un enfant de neuf ans. Édifiant.
Il en alluma une avec les allumettes fournies, elles aussi, par l’inconnu au grand cœur.
-Regarde, je peux fumer onze lignes d’une seule puff.
Son défi était de fumer une cigarette d’un seul trait. Les petites lignes imprimées qui strient les cigarettes étaient la jauge de ses progrès. Il s’entraînait.
-Euhff! Euffh! s’étouffa-t-il avant de vomir un petit coup dans les bambou derrière lui.
-Eille, tu vas toute salir notre place.
-Pis!
-Pis chus tanné d’être ton ami!
Il devint pâle ce qui n’eut l’effet que de faire virer sa peau d’un vert feuillage vers un vert tendre.
-Steve???
-J’ai décidé que je ne voulais plus être ton ami! dis-je, la voix tremblotante.
-Euff! Il s’étouffa de nouveau.
-Je veux plus te voir, je ne veux plus que tu viennes me réveiller le matin, que tu m’appelles non plus.
-Pourquoi?
Il pleurait à chaudes larmes.
-On est pas pareil toi et moi. Je suis pas un sportif moi. Je suis sérieux, bon à l’école pis toi tu fais toujours le con.
Je ne pus poursuivre plus longtemps ma rhétorique boiteuse. Marco, la voix pleine de sanglots et les yeux noyés me supplia avec verve et sincérité de rester son ami. Son seul en fait. Les autres ne faisaient que profiter de son envie d’être aimé. Il me convainc. Sous condition de ne plus venir tôt chez moi pour attendre que je me réveille. Il accepta bien sûr mais la résolution ne dura qu’une semaine, le temps de purger une prévisible punition. Il fut reclus chez lui par sa mère, le temps que sa peau reprenne une couleur humaine. J’allais jouer chez lui l’après-midi. Sa mère me citait toujours en exemple. Pourtant.
Après avoir souper, le noyaux dur de la bande se retrouva encore une fois sous le lampadaire devant la maison des Fafs. Les Nolettes et moi, de manière spontanée, nous rencontrions toujours le soir venu. Marco, absent cette fois-ci, trempait probablement dans le varsol sous le regard découragé de sa wallonne de grand-mère.
L’hiver venu, lui, les Fafs et ma sœur venaient grossir la troupe afin de rendre les matchs de hockey plus intéressants. Nous jouions alors dans les sens de la largeur afin de ne pas toujours courir la balle. J’ai peine à imaginer que cela soit désormais source d’intolérance. Je me demande bien ce que nous aurions faits de ces centaines de soirées ou le rire, la compétition et la violence bien sûr rendait notre vie aussi excitante qu’une échappée de Peter Stastny.
Les deux filles, Nath et ma sœur, étaient particulièrement habiles à ce jeu hivernal, car plus âgées donc plus corpulentes que nous. De plus, ma sœur avait le kit complet de la partisane ultime des Nordiques. Le manteau, la tuque à pompon et les gants fleurdelisés lui donnaient un look de fanatique attardée. Le genre qui s’assoit sur le banc des innocents dans le bus en balançant son tronc d’avant en arrière. Encore une autre différence majeure avec notre époque, les gens choisissent maintenant cette place en premier dans l’autobus, se consacrant eux-mêmes innocents par le fait même, d’autant plus qu’ils ne se lèvent pas quand des vieux embarquent, ce qui confirment l’état mental desdits morons. Dans le cas de ma sœur, on ne pouvait dire que son apparence s’accordait avec sa personnalité tellement elle était brillante et performante à l’école. Par contre, cet accoutrement ridicule s’accordait bien avec sa fougue dans ce sport.
Or, ce soir-là, nous n’étions même pas assez nombreux pour faire une partie de botte-la-canice digne de ce nom. En temps normal, les après-midi de baseball de rue étaient à coup sûr suivies par des soirées de cachette extrême. Le lampadaire faisant office de base autour d’un territoire savamment défini.
Alors que nous nous demandions le reste de la bande allaient se joindre à notre flânerie, Gre se pointa, arrivant par l’entrée de sa maison, un restant de bouteilles de Coke à la main. Dans le soleil couchant, cela avait toutes les allures d’une pub sociale sur l’obésité. Alors qu’il s’apprêtait à venir poser son gros derrière près des nôtres déjà bien installés sur la chaîne de trottoir, sa mère sortit sur la galerie pour héler notre gras compagnon.
-Pha-a-ane! (C’est le sobriquet tout maternel qu’elle donnait à son gros bébé)
-Quoi là! répondit-il d’une manière sèche comme si elle venait d’interrompre une opération à cœur ouvert. Ma mère m’aurait grondé pour moins que ça. La sienne semblait y être habituée.
-Phane, oublie pas que tu m’avais promis de ramasser ta chambre après souper.
Le géant s’emporta en criant de plus en plus fort de cette voix d’enfant aussi grave que celle de plusieurs hommes adultes.
-C’est pas rien que ma chambre, mon frère aussi fait le bordel.
-Faut que tu donnes l’exemple pis c’est à toi que je le demande mon beau. répliqua-t-elle le plus autoritairement possible, ce qui, à mes oreilles, sonnait presque comme un encouragement.
-C’est beau, j’ai compris, tantôt! Conclut-t-il en se laissant choir sur la bande de pierre bordant la rue.
Fanroi sentait le besoin, d’en rajouter à cette petite humiliation publique.
-C’est vrai que c’est pas ton frère qui va t’aider à ramasser, y a pas l’air bon à grand-chose.
-Ta yeule!
- À part le Commodore 64, y a aucun talent! Y vient pus jamais jouer au hockey pis quand y vient au baseball, personne le veut dans son équipe. renchéri Bison.
-Criss, y a mon âge! précisa Jeep.
Gre eut alors un mot qui cloua le bec aux frères.
- Peut-être, mais quand tu seras aussi fort que lui sur un ordinateur, je vais me faire poser un vagin dans le front.
Le tas de viande avait une propension certaine à la vulgarité qui ne cessera de s’accentuer avec les années. Après dix secondes de silence, je tentai d’apporter le débat ailleurs.
-J’ai vu à la télé qu’un jour, on aura tous un ordinateur chacun. Moi chus prêt, j’ai déjà le mien.
-Ouin, c’est un Vic 20, c’est dépassé. Qu’est-ce que tu veux faire avec ça. Ça te prend au moins 64K, comme le notre. Au moins c’est mieux que le Texas instrument de Marco.
-Pas grave! Je l’aime mon Vic 20, y est neuf. Pis les jeux sont l’fun. Pas hot comme les jeux olympiques sur ton 64 mais quand même. Toi, c’est la manette qui fait la différence. avançai-je.
Alors que Gre s’apprêtait à acquiescer, la voix empâtée de fructose de sa mère rebondit sur l’asphalte.
-Pha-ane! Ta chambre!
-Oui, oui dans deux minutes! mugit-il.
Le trio Nolette saisi la belle occasion.
-Phane!Pha-aaa-ane! Phaphane! Phephane!
-AAAAAAH! rugit Gre en beau caliss.
Vint alors le coup fatal. La mère Grelu, impatiente malgré son calme de tortue des Galapagos, sorti une troisième fois sur le balcon pour appeler son gars afin qu’il entre faire sa corvée.
-Pha-a-ane! Phane! Ta chambre! Phane, ta chambre a’pleure!
Cette phrase nous fit tous crouler de rire. Nous rigolâmes ainsi pendant une bonne dizaine d’années. Elle fut aussi l’inspiration pour une chanson dédié à notre copain Gre. Écrite à la va-vite pendant mon cour de psycho-cochonne et décomposé d’un vieil air country-western, ce fut l’une de nos premières compositions. Vibrante d’émotion.
Gre parti consoler sa chambre, nous nous retrouvions donc que quatre
bougres. La soirée risquait de prendre une tournure un peu ennuyante. Je proposai alors une petite virée au dépanneur. Situé dans le sous-sol d’une maison unifamiliale de la rue Trudelle, notre petit dépanneur était tenu par un couple. La moitié féminine du duo tenait le fort la plupart du temps. Suzanne, une belle femme rousse dans la quarantaine, était d’une douceur, d’une patience et d’une compréhension peu commune avec la bande de joyeux morveux que nous étions. Il faut dire qu’à cette époque, les bonbons se vendaient à la cenne ou même trois pour un cent. Vu q’on en demandait quelques fois pour près d’un dollar, Suzanne sortait une vielle balance en cuivre et y allait à l’œil, ce qui bien sûr était souvent à notre avantage.
-Moi j’ai 35 cennes, je vais pouvoir m’acheter un chips Hostess au ketchup, dis-je avec fierté.
Les deux plus jeunes ayant déjà dépensé leur allocation, ils sautèrent sur leurs bécanes pour aller dénicher quelques bouteilles vides gisant dans les recoins du terrain du jeu ou les ados allaient prendre leurs premières cuites. Ils étaient revenus moins de dix minutes plus tard avec chacun deux bouteilles, soit un gros dix cents de bonheur.
Nous fûmes vite de retour de cette courte expédition, à nouveau assis sur la chaîne de trottoir, sous la lumière jaunâtre du lampadaire. Jeep et Bison avaient eu juste assez pour des petit jus en sacs trop sucré, tandis que Fanroi moi avions notre chips Hostess au ketchup, le summum dans le genre, complètement rouge de saveur. De plus, un sac sur deux contenait un coupon offrant un deuxième gratuit. Le record vient de Fanroi qui en a mangé quatre en ligne en payant seulement le premier. Alors que nous nous échangions chips rouges contre gorgées de jus bleu, Fanroi engagea la parlotte.
-J’ai écouté l’album de Police, l’autre fois. C’est vraiment bon.
Jeep sursauta
-Eille. C’est mon band ça. Choisi-en un autre. C’était pas les Beatles toi.
-Moi c’est Kiss en tout cas, rota Simon.
-Moé, j’aime plus la radio, je me fais des cassettes en écoutant CFLS. Des fois chus pas assez vite pis je manque le début de la toune. Pas grave, ça fait comme des mixes, dis-je, sûr d’être à la fine page.
-Ouin, c’est vrai que les Beatles c’est le meilleur groupe de tous les temps.
-Abbey Road, c’est le meilleur disque, renchérit-je.
En fait, mis-à-part les deux albums compilatoires rouge et bleu, je n’avais qu’Abbey Road à la maison. Lorsqu’on avait emménagé là, j’étais tombé sur des vinyles que la locataire précédente avait laissés dans ma chambre : celui de Beatles, que j’adorais ainsi que Houses of Holy de Lez Zep et Dark side of the Moon de Pink Floyd. Les pochettes m’intriguaient mais je trouvais la musique plate. Pour Pink Floyd, mon opinion n’a à peu près pas changé depuis.
- Le meilleur, c’est Sergent Pepper. affirma Fanroi.
Il poursuivit.
-C’est même le meilleur album de tous les temps de tous les groupes de toute la terre.
-Ah ouin!!? douta Bison.
-Eille, c’est moi le king en musique. Je vous ai tout fait connaître vos groupes que vous aimez, s’offusqua Fanroi. Je te dis que c’est bon. Venez, on va allez l’écouter voir.
Jeep se leva en disant.
-J’va allez demander à la vieille si Tarzan peut venir dans la cave avec nous autres
Jeep ressorti rapidement pour confirmer la réponse maternelle. Nous descendîmes alors dans le sous-sol bien aménagé des Nolettes. En fait, c’était plus beau que la plupart des salons que je connaissais. Fanroi, sortit alors le fameux album des Beatles et le déposa sur la table tournante. Nous écoutâmes la pièce titre sans dire mot. Alors que les deux plus jeunes frères examinaient avec curiosité l’étrange collage de la pochette en essayant de reconnaître quelques personnages, Fanroi et moi, bien calés dans le sofa mœlleux, furent pris de catatonie aux premières notes de She’s Leaving Home.
-C’est vrai que c’est trop bon. J’capote, dis-je, émergeant d’un coup de la transe dans laquelle la musique m’avait transporté.
-Y rien de meilleur. Personne va jamais battre ça. répliqua Fanroi.
-Exagère pas, dit Bison, tu connais pas tout. Y a peut-être des groupes meilleurs encore.
-Ta gueule p’tit con. Les Beatles ont battus tous les records et ils tiennent encore.
-On verra gros tas! répondit sèchement Bison, frustré de s’être fait fermer le caquet encore un fois.
Évidemment, Fanroi, pas vraiment gros mais plutôt joufflu, ne se laissait jamais insulter de la sorte. Bison subit donc un rossage en règle jusqu’à ce qu’il pleure, en boule dans le divan.
L’avenir lui donnera raison. L’année suivante, Michael Jackson vendit 25 millions de copies de son album Thriller (sur un total de près de cent million). Un record toujours en vigueur et qui ne sera sans doute jamais battus, quoique pourraient prétendre les distributeurs, l’industrie ayant bien changée.
Le père Nolette ne tarda pas à descendre pour apprécier la situation, Le cris et les pleurs de Bison furent suffisants à sonner la fin de cette récréative écoute.
-Je veux plus rien entendre! C’est-t-y clair?
Bison calmé, un Fanroi satisfait, interroga le petit groupe.
-Ça vous tenterai-tu qu’on se parte un groupe?
Les deux autres frangins acquiescèrent. Je n’était pas certain que le projet soit viable.
-On va-tu être nos quatre? interrogeai-je.
-Les Beatles étaient quatre. C’est le nombre parfait pour un groupe, rétorqua Fanroi catégorique et certain de son arithmétique musicale.
-Moi je vais jouer de la guit, dit Bison.
-Moé du drum, dit Jeep.
-Parfait, moi, je veux jouer de la bass comme Paul.
-Pis tu y ressemble en plus, opinai-je.
En fait, c’est ma sœur qui avait remarqué cette ressemblance.
-Pis moi, faut-tu que je chante? Chus ben que trop gêné. Va falloir que je pratique en maudit avant, conclus-je
-Ça va nous prendre un nom, fit remarqué Jeep. Moé j’appellerai ça The Bandits, c’est comme le contraire de The Police.
Bison était plus terre à terre.
-Qu’est que vous penser de Hoffman? Comme le nom de notre rue. J’ai toujours trouvé que ça flashait.
Fanroi, perplexe, proposa son idée.
-Tsé, ça nous prendrai un nom d’animal, comme les Beatles mais plus hot.
Nous firent alors l’énumération des bêtes les plus méchantes du règne animal : les tigres, les scorpions, les lions, les requins, les tarentules, les carcajous, les pirrhanas. Rien ne semblait coller.
Les aigles, suggéra Fanroi.
-Ouin, les aigles c’est bon pis ça va faire des t-shirt full beau, ajoutai-je.
Jeep semblait conquis. Bison avait cependant une réserve.
-Faudrait un nom en anglais par exemple si on veut pogner partout comme les Beatles.
-Aigles, c’est Eagles. The Eagles. Ça sonne ben, oui, confirma Fanroi.
L’idée était lancée. Un groupe de quatre avec un nom d’animal. C’est sûr que ça allait faire fureur. Officiel! Comme on disait à Charlesbourg à cette époque.
Je quittai le sous-sol puis la maison du trio pour rejoindre l’appartement familial et finalement ma chambre aux murs tapissés de poster pris dans l’hebdo Le Lundi. J’eu énormément de difficulté à m’endormir. Je fixai longuement le poster d’Anvil représentant une enclume en feu que mon père m’avait rapporté de son travail, à Place Laurier. Déjà, je me voyais sur scène à chanter pour les filles, en impressionnant les gars. Cette vison n’allait plus jamais me quitter. Jamais.
Le lendemain, j’émergeai du sommeil plus tard que d’habitude. Des élucubrations mentales m’avaient taraudées une partie de la nuit. L’absence de Marco à mon chevet matinal y était sûrement aussi pour quelque chose. Il était assigné à sa chambre, vert de honte.
À cette époque, je prenais encore un petit déjeuner et les rôties au beurre d’arachides trempées dans le lait des mes Honeycombs firent encore une fois le travail. Le téléphone retentit alors que je me brossais les dents. Le gros Gre.
-Tu fais? Gromela-t-il.
-Te parles. Répondis-je avec un esprit de bottine.
-Viens-tu dehors, on pourrait se lancer la balle en attendant les autres pour une game, proposa-t-il.
-Ouin, c’est bon, j’pogne ma mite pis j’arrive, conclus-je avant de raccrocher le petit téléphone à bouton, symbole de l’avancement la technologie des télécommunications de l’époque.
Le ciel était du même bleu que le plafond de l’église Saint-Charles Borromée. Un bleu saint, un peu délavé. On se garrochait le globe de caoutchouc à poil jaune avec nonchalance.
-Criss Gre, si t’es pas capable de lancer dwètte , c’est moi qui va se mette dans le haut de la côte. J’cours comme un innocent.
-Moumoune!
Je lançai alors la balle le plus loin que je le pus mais rendu en haut de la rue, elle roula jusqu’en bas pour aboutir dans le gant du colosse sans qu’il n’ait eu à bouger son gros fessier.
-Ha! Raté!
Il s’apprêtait à me relancer la balle mais stoppa en milieu de motion. Son attention et la mienne furent portée sur les deux gros peupliers de Lombardie qui bordaient la rue, entre la maison des Fafs et le bloc blanc. Un homme équipé d’un attirail de bûcheron de course jaugeait un des deux imposants végétaux. Grelu s’avança alors pour le questionner.
-Allez-vous couper des branches monsieur?
L’homme toisa l’enfant géant d’un air ennuyé et daigna répondre.
-Pas les branches, tout. Les deux, jusqu’à terre. On va agrandir le parking du bloc.
Mon coeur de 4-H-gardien-des-ressources-naturelles se serra. Pourquoi couper de si beaux arbres? Résigné, nous nous assîmes sur la chaîne de trottoir faisant face au futur stationnement. Le gros cave à la scie mécanique visiblement n’avait pas souvent couper d’arbre. Trois quart d’heure plus tard, le moment funeste était imminent.
-Ok les jeunes, bougez pas! gueula autoritairement l’assassin.
Quelques tours de chaînes plus tard, l’arbre quinquagénaire se mit à basculer d’abord lentement puis tomba d’un coup sec dans un fracas qui nous laissa pantois en raison de ce qui se produisit ensuite.
La silhouette d’un peuplier de Lombardie peut rappeler de gros balais de sorcières plantés dans le sol. Les premières branches étaient au moins à douze pieds du sol ce qui empêchait pratiquement toute tentative de grimpe. On avait déjà réussi en se faisant la courte échelle mais les branches touffues et serrés offrait peu de possibilités. Toujours est-il que les deux balais grand format étaient situés juste derrière le troisième but de notre terrain de baseball de rue. Avec les années, une quantité importante de balles de tennis était restée emprisonnées dans cet entremêlement inextricable de branches. Nous disposions d’une grande perche pour en récupérer quelques unes, mais souvent l’opération ne faisant que repousser plus loin l’objet dans cette jungle sur pilotis. De plus, notre livre de règlements maison stipulait qu’une balle qui restait prise équivalait à un circuit. Ceci fit monter le nombre de balles perdues, chacun ayant tenté maintes fois sa chance.
Alors, lorsque le corps du premier vénérable s’affaissa en bordure de la rue, le choc libéra une douzaine de balles crottées qui se mirent à dévaler la rue. D’abord étonnés, éberlués même, puis enthousiastes, nous bondîmes en courant dans tous les sens pour récupérer les balles. Le même manège se produisit avec le second. Quelle récolte. Toutes des balles à circuit.
Si, nous avions récupéré nos balles, qui en fait étaient souvent des restants trouvés autour du terrain de tennis du quartier, nous avions tout de même perdu deux amis, deux beaux arbres. La rue changeait tranquillement et nous n’étions pas au bout de nos surprises pour cette journée.
Le trésor fut disposé en tas dans la cour de Gre. Nous passèrent l’après-midi à jouer aux Olympiques d’été sur son Commodore 64, Le nec plus ultra des ordinateurs et le meilleur jeu connu. Mis à part Q-bert bien sûr. Vers 15h00, on entendit le moustiquaire de la porte-patio glisser.
-Y-a-t-y kekun?
Gre beugla.
-Entre Bison, pis ferme la passe, pis enlève tes souliers, pis va donc chier!
-HA HA HA! (rire général)
-Pour les fois que t’en fais des bonnes, dis-je amicalement.
Bison était excité. Eille, a-tu-vu, les arbres, coupés, les deux. J’ai fouillé dans le tas de branches pis j’ai rammasé sept balles. Cool heun?
-Ouin, on sait, va voir dans la cour, on a en au moins 25.
-Tu-vrai? Eille, c’est presque toutte des balles que mon père a ramené de son tennis, je vais voir pis les ramasser. Je vais les reconnaître, c’est les meilleures balles que mon pères achète.
Évidemment, pensais-je.
De toute façon, on s’en foutait bien, il pouvait bien toute les prendre. Elles allaient toutes servir pour le même usage. Soit baseball, soit hockey. On y était toujours.
-Ben oui, ben oui! Répondit Gre distraitement , immergé dans son lancer du poids virtuel.
Bison alla donc chercher son petit frère et, les bras chargés de balles, s’en retournèrent fiers comme des pirates en parade.
Cette journée marquée par la mort prématurée de nos deux nobles peupliers fut suivie d’une soirée on ne peut plus surprenante, voire troublante pour les petits roitelets hégémoniques de la rue Hoffman que nous croyions être alors.
Marco, enfin libéré du bagne de sa chambre et arborant un teinte presque humaine, vint me chercher tôt après le souper. Nous étions à nous lancer une des balles que nous venions de retrouvées dans l’amoncellement de branchages laissé par l’assassin quant une voiture nous fit cesser cet échange un bref instant.
La voiture ne fit pas que passer comme c’est souvent le cas mais se gara doucement devant le terrain vague. Un homme inconnu en sortit. Nous l’observions avec la curiosité des enfants qui attendent une surprise. Et elle vint. Du coffre de son bolide, il sortit une pancarte et une petite masse. Il se rendit ensuite sur le terrain vague pour y planter la chose et repartit aussitôt.
L’opération devait avoir duré tout au plus deux minutes.
Inquiets et perplexes, nous nous approchâmes de l’affiche de bois car notre angle de vision nous interdisait toute lecture adéquate. Ce que nous y lûmes nous laissa pantois.
Va chercher les Nolettes, moi je vais rameuter Gre pis les Fafs, ordonnai-je à Marco d’un ton militaire. Faut qu’y voient ça, renchéris-je.
Quelques minutes plus tard, nous étions tous plantés là, comme attiré par la pouvoir hypnotique la pancarte.
TERRAIN À VENDRE
626-0706
Fanroi, duquel nous attendions tous une réaction intempestive, un verdict vengeur ou un appel à la révolte fut comme d’habitude fidèle à sa réputation belliciste.
-C’est une déclaration de guerre. Ben y vont l’avoir les caliss. Celui qui va acheter le terrain va en baver. Êtes-vous avec moi?
Comment être contre. Nous occupions et entretenions cet endroit depuis plusieurs années à en oublier que quelqu’un quelque part en était le propriétaire. Pourquoi le vendre après toutes ces années? Pour nous faire chier. Tout simplement. Tel était notre point de vue de petits empereurs frus.
Ce fut décidemment un été charnière. Les peupliers coupés, le terrain vague en vente et la rentrée venue et ma sœur, qui pour la première fois, ne fréquenterait pas la même école que moi. Elle ne le fit plus jamais d’ailleurs. Les Zursulines, très peu pour moi. De plus, ma mère se fit un chum, un gars sérieux, avec une bonne job. Tout le contraire de mon père, toujours empêtré dans de compliquées histoires d’amour, de cul ou d’autre manigances.
Charlesbourg 1984
Sans le savoir, c’était le dernier hiver que je passerais dans cette rue qui restera mon alma mater même si mon passage y fut bref comparé aux autres de la bande qui y avaient fait leurs premiers pas.
J’étais en sixième, enfin. Dans la même classe que Fanroi. C’était mon pote, oui. Au début de l’année, nous étions même en équipe, les deux pupitres collés . J’avais l’habitude d’être le meilleur de la classe et Fanroi était aussi fort quoique plus nonchalant. En quatrième, alors que nous n’étions pas dans la même classe, j’avais gagné un concours d’écriture du Journal Le Soleil, une sorte de compte-rendu d’une journée d’activités artistiques organisée à l’école. Devançant les grands de sixième, j’avais été publié en gros caractères, dans le cahier pour enfant de l’époque, Crayons de Soleil.
Il avait aussi été publié mais en petits caractère. Mon texte était bon mais surtout, plus long. En plus que lui, il disait que son meilleur moment était sa rencontre avec le professeur Toutenson, le prof de musique de Gronigo à la télé. Tellement pas son genre. Licheux. Il me reprochait alors et le fera longtemps, de trop aimer l’école et surtout de mettre un temps fou à faire mes devoirs et travaux. Comme on dit, j’en mettais plus que le client en demandait.
De toute façon, nous avions été détrônés deux semaines après le début des classes. Un matin, Gaby, notre masculin prof, d’un ton solennel et autoritaire, nous présenta une petite nouvelle qui débarquait de Montréal.
Une belle grande blonde aux cheveux aux fesses. Moi, je remarquai immédiatement son cul sculptural presque aussi parfait que celui de ma Nancy suprême, dans ses jeans hyper serrés avec pas de poches. Je succombai.
Devant la pamoison évidente de Fanroi, je consenti à lui laissé le champ libre, ce qui était inutile vu sa grande timidité avec les filles, mis à part avec ma sœur. Elle, sa soeur plus jeune était de l’âge de Jeep et était d’une beauté totale. Elle fait maintenant les pubs de sa propre entreprise de pneu à la télé de Québec. Elle est encore pas pire.
Pour ma part, j’étais aux anges question fille. Les deux plus belles, selon moi, étaient réunies enfin, toutes deux, dans ma classe. Mes deux Nancy, une grande brune et une petite noire à la mode de 1984. Un K-way rouge pour la noire, un bleu pour la grande. Des espadrilles blancs et les fameuses jeans avec pas de poches qui nous présentaient leurs postérieurs comme des fruits turgescent à la peau parfaite. Contrairement à aujourd’hui où l’on peut voir l’effet de la somatropine des viandes d’élevage sur les poitrines en devenir, il n’y avait qu’une seule de nos compagnes affublée de seins. Des gros à part ça. On trouvait ça presque étrange. Même sous un épais coton ouaté, la pauvre avait peine à cacher se deux obus d’amour. Évidemment Marco, aussi dans notre classe, jeta son dévolu sur elle et se vanta de les avoir vu, et même d’avoir pu les peloter.
C’est sans doute la raison pourquoi, devant cette quasi absence de signe pubère chez les filles de notre âge, les fesses restaient l’attribut féminin le plus significatif pour ma sexualité naissante. Dans mon cas, cela faisait longtemps que ma venue au monde sexuelle avait eu lieu. Je me souviens avoir eu des phantasmes érotiques impliquant deux de mes nouvelles camarades à la première journée de la première année du primaire, Il y avait cette pulpeuse blonde bien roulée qui s’appelait Vachon et une brune envoûtante au nom de Lafrenière. J’imaginais donc que la maîtresse nous laissait, elles et moi, vaquer à des occupations plus excitante en classe.
Dans le petit coin de lecture aménagé au fond de la classe, sur des coussins carreautés, tout nus, je régnais sur mes deux esclaves sexuelles avec fermeté. Je tairai par contre les détails de mes vices enfantins, au risque de frustrer les plus pervers que moi.
À rebours, je constate n’avoir rencontré qu’une seule personne m’ayant confié avoir eu le même genre de pulsions précoces. Je voyais bien que les autres garçons n’était pas aussi portés vers le sexe mais comment en être sûr vraiment. Ce n’est pas le genre de discussion qu’on des gars de sixième et jamais n’ai parlé de filles avec Fanroi de toute façon.
J’avais par contre le loisir d’aborder le sujet fréquemment avec mes deux nouveaux potes, Dave et Donald. Alors que tous étaient regroupés en équipe de deux, je fis tout d’un coup partie du seul trio de pupitres de la classe. Qui plus est, il était presque collé au bureau du professeur, endroit inhabituel pour la tronche que j’étais. J’avais donc émigré du fond de la classe où j’étais en équipe avec Fanroi vers l’avant, lieu privilégié des cancres, des quasi-mongols et autres lunatiques. L’événement avait fait suite à une campagne de terreur mené à mon endroit par Fanroi. Trouvant ça sûrement bien comique, il avait usé de l’emprise naturelle qu’il exerçait sur autrui pour me rendre la période de récréation infernale. Pendant le premier mois de l’hiver, je n’ai pas dû avoir ma tuque sur la tête plus de dix minutes et lorsque je l’avais, elle était rempli de neige mouillée. Bouillons, bousculade, bascule, les sbires de Fanroi exécutaient tous ces désirs de persécutions sans qu’il n’ait à lever le doigt, pouvant ainsi rester à l’écart à se bidonner fermement, la face toute rouge.
Je m’en aurais sûrement plaint si Fanroi avait agi de même façon lors de nos joutes de hockey de rue mais il avait un comportement tout autre hors du contexte scolaire. Ses frères n’étaient bien sûr pas en mesure de me terroriser comme le faisait si bien les pauvres limaces qui suivait ce baveux en chef dans la cours de récré. En vérité, c’est une de mes admiratrices secrète qui s’en ait chargée. Peut-être même une de mes Nancy. J’ai toujours imaginé que c’était une fille qui avait dénoncé les agissements de Fanroi. En fait, je connais son nom : Geneviève. Quoiqu’il en fut, le digne Gaby, notre prof, sauta conséquemment sa coche et enguirlanda Fanroi en pleine classe pendant une bonne demi-heure afin de bien marquer les esprits.
Fanroi ne broncha pas. La flux de réprimandes semblait galvaniser davantage sa carapace de petit semi-tyran. Imperméable à ce sermon, je l’imaginais préparer sa vengeance. Or, Gaby étant un fin lecteur des âmes, avait bien compris cet aspect du personnage et afin de me protéger, m’avait placé en équipe avec les deux autres mâles alpha de la classe, soit les deux sportifs. En fait, ils excellaient principalement en deux activités. Premièrement, ils étaient les meilleurs au ballon prisonnier, étant les capitaines de leurs équipes respectives et du harem en découlant, sans blague. Et, la deuxième étant le corollaire de la première, ils étaient les coqueluches de toutes les filles de l’école. Comme si la capacité de garrocher un ballon en pleine face de ton vis-à-vis était la plus grande des qualités recherchées chez les gars. L’arrangement était donc le suivant. J’aide mes camarades dans leurs études et travaux scolaire et en contrepartie, ils deviennent mes gardes du corps.
Le stratagème fonctionna complètement et en bonus, je gagnai le respect de Fanroi et une nouvelle image auprès des filles, la tronche cool en quelque sorte. L’hiver se déroula ensuite sans anicroche. Ou presque.
En fait, notre nouvel ennemi, l’acquéreur du terrain vague, avait entrepris de construire les fondations de sa bicoque juste avant les premières neiges. Vu que l’hiver était particulièrement sec cette année-là, il avait même pu les compléter. La résultante était la perte directe d’une aire idéale pour la construction de nos forts. À chaque hiver, au centre de ce terrain, poussait une petite montagne de neige soufflée par les machines. De la neige compacte et dure dans laquelle on avait déjà construit un igloo ou plutôt creusé un quimzy. Ce chapitre récent dans le conflit latent entre l’heureux propriétaire et nous avait inspiré Fanroi. Ce fouteur de trouble portera désormais le nom de Bozo.
Nous étions plus frustrés que tristes. On nous vole notre îlot de verdure et l’hiver se cache, se laisse désirer. Le temps inadéquat ne faisait que rajouter l’insulte à l’injure pour les hockeyeurs sur macadam que nous étions.
Notre grande sagesse pré pubère ne viendrait sûrement pas tempérer ce sentiment d’injustice. Vengeance ciboire!
Un peu avant Noël, en cette année qui voyait le clip de Thriller marquer son époque (Rajotte fit jouer tout l’hiver à l’émission Radio-video, sur le câble Cogeco), la neige tardait donc à recouvrir les pelouses de l’avenue Cloutier à une époque ou le réchauffement climatique rimait encore avec un simple redoux.
En fin d’après-midi, à la sortie des classes, le temps était toujours gris et venteux. Trop froid pour le baseball, la météo ne nous incitait pas non plus à sortir notre équipement de hockey. Désoeuvrés, lambinant, nous remontions la côte vers la 76e rue afin de rejoindre la rue Hoffman. Gre, Marco, moi et les Nolettes portions tous un sac Adidas de couleur différente sur l’épaule, mode de l’époque oblige.
En passant devant le Texaco, nous remarquâmes une voiture clinquante. Sur le côté du garage étaient stationnée une Corvette verte métallique d’un modèle assez récent. Vu que nous passions toujours par le terrain du garage pour prendre un raccourci menant directement au terrain vague, les garagistes ne se souciaient pas de notre présence outre mesure. Cette fois-là n’y fit pas exception. Hors de leur champ de vision, nous passâmes en revue les différents rebuts entassés pêle-mêle afin de voir si un quelconque Graal n’y avait été balancé. Nous avions déjà fait œuvre de récupération en transformant de vieux pneus en siège pour nos igloos. Le fessier bien calé dans un pneu, nous pouvions papoter des heures sans se geler l’entre fesse.
Marco, que Fanroi surnommait Narcisse Lajoie, nom d’un clochard mythique, en raison de sa propension à farfouiller dans les ordures afin d’y trouver des choux gras, mis la main sur un catalyseur déconfit qu’il utilisait tel une masse d’arme. Les tuyaux dans la main, il faisait tournoyer l’objet tel un Bruce Lee mongoloïde. Il n’en fallait pas davantage pour éveiller la malice de Fanroi qui mit au défi notre karatéka d’opérette. Sa mission : détruire, briser, vandaliser. L’objectif : La Corvette verte, garée à l’abri des regards en attendant je ne sais quelle opération mécanique. Sans réfléchir plus d’une seconde, (le contraire aurait été une première, notre Chuck Norris des pauvres), d’une motion exagérée, point d’orgue d’une chorégraphie martiale presque crédible, envoya percuter violemment sa masse d’armes maison sur a fibre de verre verte du bolide.
Le résultat fut à la hauteur de nos attentes et il ne resta plus qu’à prendre nos courtes jambes à nos cou en fuyant par le passage derrière les haies et les clôture des fonds de cours, sorte de mini no man’s land linéaire.
Rire à en pleurer, jusqu’à ce que les zygomatiques te brûlent et le diaphragme devienne douloureux. Étrange de sens de l’humour, certes. La profonde rayure sur la Corvette n’était cependant pas le sujet de cette rigolade mais plutôt l’incorrigible impulsivité de Marco, qui encore une fois avait suivi aveuglément les directives machiavéliques de Fanroi. Aussi, ce genre de petits méfaits nous donnait l’impression de vivre, d’avoir une vraie prise sur le réel. C’était faire une courte escapade dans le monde des adultes en leur signifiant notre présence d’une manière qu’ils ne puissent ignorer. Imposer sa présence dans l’arrogance de la petite violence matérielle.
Dans ce cas précis, nous n’en avons jamais entendu parler. Le Gino, tel notre imagination le concevait, ne nous suspectait sans doute pas car ignorait notre existence. Il faut souligner ici que d’autres du même acabit nous avaient déjà donné du fil à retordre, notamment le gros Maurais, un baveux, amis du grand frère de Nath qui se plaisait à nous invectiver et rire de nous dès qu’il descendait de son horrible muscle car brun sapolin, la bedaine d’abord. Un autre, plus hargneux, nous avait poursuivi à pied une fois que sa camaro eut reçu un des nombreux cônes de pain encore verts que l’on lançait sur els voiture, cachés derrière l’immense arbre du sis au coin de la rue. Dans le fond d’une cour, en plein noirceur, il avait mis le grappin sur Simonak, lui laissant une profonde marque au cou. Mais, ce genre d’événements n’était pas pour freiner nos vandales ardeurs. La soirée était encore jeune. Jeunes, nous l’étions. Presque enivrés. Fous. Libres.
Toujours en possession de l’arme du crime, Marco, maintenant mû par son éternel désir d’en mettre plein la vue et de démontrer son intrépidité, fila son chemin jusqu’au bout du terrain de Bozo, en se faufilant le long des haies de la maison du docteur. À une quinzaine de pied, derrière la clôture de grillage métallique s’élevait un complexe d’appartement semi luxueux, pompeusement nommé Le Château. Nous pouvions donc contempler 5 étages de balcons de béton et de portes-patios. Un peu la mode condo drabe en béton et toc avant l’heure. Poussé par les encouragements et les rires de Fanroi, Marco lança l’objet contondant dans la porte patio la plus proche. L’effet obtenu fut lui souhaité et l’air froid et humide de l’hiver s’engouffrait maintenant dans le salon que nous imaginions cossu.
Le moment qui suivit, la fuite, est de ceux qui génèrent en nous une excitation sans limite, un buzz d’adrénaline instantané. Le vandalisme, dans le fond, était notre sport extrême à nous. Du moins, nous en tirions assez de plaisir pour vouloir tout de suite réitérer la chose. Dans une frénésie inexplicable, je me joins à Marco pour tirer de la caillasse sur la maison des Fafs. Mon premier tir, un petit projectile gros comme une bille ordinaire, atteignit le toit. Rajustant mon tir pour un deuxième caillou de même grosseur, j’atteins la grande baie-window du salon, produisant pour tout effet, un petit bruit de choc mais, aucun dommage.
Or, ce n’était pas là mon intention. A posteriori, je crois que je voulais excité davantage l’instinct de destruction de Marco en lui offrant de la compétition. Et, effectivement, il ne se laissa pas damer le pion. Saisissant la plus grossw roche qu’il put trouver, il s’élança tel un Bill Lee en crise de nerf et atteignit la grande vitre en plein centre. Le verre bien solide ne céda pas mais une immense fissure étoilée se dessinait maintenant sur la surface polie. Le résultat nous surpris tant qu’il clôt notre petite cavalcade nihiliste et nous courûmes tous nous réfugier dans nos demeures respectives. Nous ne pouvions pas aller plus loin sans risquer de se faire prendre.
Ce que nous en savions pas, c’est que Ti-Faf, bien évaché dans le sofa, écoutant distraitement la télé à travers ses fonds de bouteilles, n’avait rien manqué de la scène et des protagonistes impliqués. Alors, lorsque rentrant du travail, son vieux fous de père constatât les dégâts, ti-Faf n’eût d’autre choix que de vendre la mèche. Chose qu’on ne pouvait, bien évidemment, pas lui reprocher.
Quelle ne fut pas ma surprise quand un policier débarqua chez moi. Ti-Faf Ayant désigné Marco comme coupable, il avait reçu préalablement la visite de ce police et, pressé de livrer des possibles complices, il ne cita que mon, nom, alors que l’étincelle de la plupart de nos conneries était bien sûr Fanroi. L’agent m’expliqua que Marco, suite à des aveux et une promesse de rembourser, m’avait pointé comme deuxième coupable alors qu’aune de mes cailloux n’avaient causé de dommage. Spontanément et dans une tirade ratoureuse dont je suis encore fier, j’eus la présence d’esprit de répondre quelque chose qui ressemblait à cela :
« Vous avez donc trouvé votre coupable. Un vandale, un menteur, un voleur, tout le monde sait ça. Ce n’est pas la première fois que vous l’arrêter d’ailleurs. Alors, comment croire quelqu’un qui n’est pas fiable et menteur. En plus, il ne vous l’a pas dit, mais il a aussi cassé la fenêtre du Château »
Quel couillon je fus! Mais, quelle habile parade par contre. Vu que le coupable était désigné, il était bien inutile d’en trouver un second. Aussi, il est clair que la parole d’un criminel n’a aucun poids face à celui d’un petit gars sage comme moi, prêt à vendre son ami pour se sauver des conséquences de ses actes. Or, confronté à mon argument, le constable de Charlesbourg ne put aller plus loin dans son accusation. Mais, sachant bien que j’avais tout de même quelque chose à voir avec l’histoire, m’emmena m’excuser auprès du locataire du Château dont ont avait amélioré l’aération du salon. Ce que je fis dans la plus grande honte mais tout de même à demi content de m’en être sauvé. Sauvé surtout de la punition attendue si ma mère n’avait pas cru mon histoire. Dans cage d’escalier du Château, je croisai Marco qui revenait, piteux, de faire ses propres excuses. Il avait les yeux rougi. Il semblait tellement désolé. Moi, je n’ai pas pleuré.
12.1.15
Pulsions pornoéthiques et autres cochoncetés
XXXL
Hache en forme de cou
derrière la tête
Machettes de génocides
dans les poches
Fins crachins des toux
définitives
Coupe-moi ça court.
Fais ça propre.
Faux bonds à tout rendez-vous
gantés de caoutchouc
malheureuse catin des espérances
avortées
le gin tonic
simulation de cancer
Qu’à cela ne serve!
et je m’encule au pied du mur de
mes lamentations muettes
conscrit et contraint dans la
platitude des soirs emboucanés
l’anti-dictateur en bedaine, les barniques XXXL.
L’égout des corps
Fumées rouges des égouts qui
parlent
y coule l’hémoglobine de toutes
les poules de luxes
Les limousines sont des tanks,
des 4 par 4 camouflés pour être vus
pour prospères couillus, quatre
as truqués collés au cul
Les escortes anorexiques sont à
quatre pattes,
sur des genoux de gales qui
décollent
offrant leur vulves adolescentes
comme des faciès vénusiens
Un criss de flat d’ego
Les valets parking ont des
sourires de crystal meth
La gadoue a la couleur des anus
bien cuits
Les os s’écoulent dans
l’épuisement
Ma truffe de porc farfouille le
sillon du seins des seins
chaque orifice, fentes d’effluves
sucrée salées,
chaque dépression joyeuse,
convexité moelleuse à la paire,
sources vives de sueur,
réceptacle des fluides en fuite
Je cherche la coupe
J’ai une calisse de soif
Couper dans le bois
Les raccourcis secrets des amants
psychopathes qui crapahutent
en proie à la quête dans le
non-sens des terres vierges
où les clairières sont des lits
de sable meuble
Tant que les cadavres sont chauds
Animal
d’horoscope
Les
cieux et les autres truies me servent la plus dégeuse des poutines atomiques
La seule
cellule cérébrale survivante faisant une rechute d’éros
Chute du
corps en funestie
À peu
près près du prés des plaisirs
L’esseul
Le fou
cru
Le
soleil nu
Cocu
dans le ciel des cierges en godemichés pour gourous
Les tites culottes à terre
Les
bâtons de prières volent bas
Bien bas
Rien
qu’un cas s’évaporant dans les entékas
pitoute
Éclaboussante
dégrimboulade bigcrunchienne
Ris pas
Pas
drôle
Animal
d’horoscope
G .G.
Notre
grand leader manie ses gosses comme des boules chinoises
un caca
d’ado psychotique rocking chair de l’apocalypse
Péteux
de câble débalancé s’embruntant son
SM 58 fucking edition
en
chantant
ou non
C’est
selon
Mon vit
pour lui
En lui
Aille et
ouille ah!
Les doctateurs sont des porcs et des goujats
Dehors
et dégâts déjà tous déviargés
La cenne
pétée en éclats de métaux spatiaux
Dérivant
entre l’astéroïde et sa surexistence
Il est
mort
Hémorroïde
du monde
Un
jour nous viendront tous grignoter les vésicules
du
chef
Je bande
Même
dans la glace
chère,
si vous,
salope,
sucez
bien à votre place
J’écume
en sauvage
cher
grand
loup
je
stoppe
dans un
prés à bon fourrage
Les yeux
d’un croisé
chair
en feu
vers
vous
galope
vous
galoperez à cheval sur sa queue!
Je pine
plus fort
Cher
bon trou
mis au propre
mienne à
mort
Au creux
du cul
Cher
minou
mon top
jusqu’au
bout
Je vous
graine
Les
fourrages sont faits
multiples
lieux de mutilations des désirs escarpés
écorchant
les genoux à l’os
et la
battue de bites se bute au massifs mammaires
la vallée
d’entre tous les seins accueille la crue
serpente,
ruisselle, perle l’eau qui coule des
couilles dégorgées
emplit
l’oued humide
pluie
espagnole sur ma poupée adorée
je te
conquistadore
Cajole
ton cul pentu dans l’escalade érotique
Jusqu’au
sommets des gouffres sans bas-filet
Le
paysage est à nu, aride réceptacle avide de toutes les averses
sentier
retors dans la plaine perverse, jusqu’au con de Vénus
jus’au
cou, jusqu,au col, jusqu’au fol envie me pendre par les pieds
sexe-ronce
utérus
d’épines
Vagins des
urticaires utiles, démangeaisons chroniques des vulves inviolées.
Je vous
graine.
Les
petites lèvres en forme de cœur
J’aime
les roses orgueilleuses
Un peu
baveuses
Quand
j’hume les effluves fauves
Des
petites chattes qui se sauvent
Caché
dans les touffes en pelote
Je rase
motte
J’aime
manger les filles
Avec un
glace à la vanille
J’aime
les manger pas de cerise sur le sundae
Manger
les filles
J’aime
l’odeur des crevettes thaï
Moules en
cocotte avec de l’ail
Un bon
tartare de truite fraîche
Une
bouillabaisse
J’aime
manger les filles
Avec un
glace à la vanille
Et pour
dessert si elles aiment ça, un macaron au chocolat…
Pique-nique
Salon
bleu des partouzes oratoires publiques
Les mots
courts frappent et déboussolent les coqs en croûte
Cornets
de crottes en pâtes croqués dans la haute fritures des cabinets
La
mayonnaise des grands masturbateurs
Le choix
des présidents en porte-jarretelles
Des rois
sans nom en fuck me boots
Dans les
bacchanales rhétoriques subliminales
Les fous
d’effroi se fellationnent dans les lobbys bondés
En
complet trois-pièces, se caressent les couilles sous la table du conseil
En
tailleurs griffés, se passe la parole comme un doigt
d’honneur
Pause
pizza
Frissons
des graisses calorigènes sur les
foufounes ministrables
La
misère de chair de poules en cage
Les
ailes qui piquent du nez
Guillotinés
partis sur la galipote circonvolutive
Cirque
vicieux des arènes d’asphalte ben dure où les chars révolutionnent
Viva la
pompe à gaz
La morue
à la nage et les moules en cocotte
Te donne
mon vote si l’urne est une belle plotte propre
ou non
L’avantage
d’être clair
Avec le
poil
Touffue
Toute
flamme
Pique-nique-moi!
Prêtresse
La
fatigue ontologique des satyres fait la bandaison lasse
L’érection
du réel achoppe et le germe reste en terre
La
graine pourrit
molle
morte
née dans ses bobettes d’humus sec
Mildiou
gonorrhéique rongeant les prépuces d’espérance
La
gangrène est une prêtresse ivre morte
Brandissant
la lame maculéé
infectieuse
Toutes
les circoncisions sont ratées
Sauf si
avec les dents
Incisives
elles seront
Ferme ta
gueule quand tu manges ta marde
La
bouche pleine d’égout
Dépoli
Phallustre
Je me
masturbe des plaintes des martyrs
à temps
plein dans le vide des rues
Doléances
irrecevables au parquet des paissant moutons de ma purge
plus que
puissante envie de chier sur le monde
tout le
monde
l’étron
mondialisé
Chape de
fèces s’échappant des fesses furieuses
pour en
finir avec le réchauffement chimérique
Déchirant
le silence comme la salope s’arrache son string
Prout
tabarnac
Torche
Et les
chattes jouissaient dans nos sommeils
Les
orgasmes sauvages
le
summum
L’homme
que j’essuie
torche
Pénisville
Panorama
plus que plastique de toutes les érections solides
L’urbanité
testostéronale des mâles de tout
l’alphabet grec
Vision
d’un champs de psycho-phallus de
béton en armes
verres
trompeurs pour secrétaires sodomisées des pauses café
Massues
arrogantes , verges bandées vers le ciel qui jute son jus acide
S’érige
le body building dans sa capote de smog
Gratte-ciels
de proue gréés pour la guerre de mes gosses
Capitaine
des corsaires violeurs de masses, Harvard style
Hérissés
d’antennes vers les encumulo-nimbus
en silicone
Parc des
piercing péniens magnifiés
Gargantua
des gang-bang perpétuels
émetteurs
sans césure d’ondées de semences invisibles
éjaculats
fumeux dans l’atmosphère subarctique des vestibules des villes nymphomanes
bien
baisées de 9 à 5
fourrées
de 5 à 7
jusqu’au
matin nauséeux closant les nuits abusives
pinées
par tous les fous
et
mangées goulûment
par le
grand méchant cunnilincteur en série
qui nous
bavent dans le cou
Jusque
dans la raie
stop
Lumière
nue
Écartèlement
cosmique des suicidés de raison
Photon
copié à l’infini
Tous les
trous ne sont pas noirs
les
bruns les roses les rouges
perlant
de sang
Salive
céleste et mucus de comètes
PH des
sanies sin corporates
Cités
des saturnales KYless
Ville
des vidanges diaérrhiques
La rue
est une bol d’étoiles totale
Gravelures
du macadam en robe d’espoir pour les ratons orphelins
Engeance
rongeant les câbles survoltés des clubs pactés
fourrés
d’or cru
Mine des
maniaques de la pioche
Mineurs
du VIH
Dévaccinateurs des tourbières de tétanos
Où le
mou s’endure mieux dans la raideur des extrêmes
Petite princesse de la poisse
Les molécules odoriférantes et
sucrées des cuirs orientaux
L’âpreté sur le bout de la langue
L’heure du thé servi dans
l’escarpin tenu pour mort de la fugueuse évanouie
apprentie Junkie bling bling
exotisante
Égérie des Tim Hortons à temps
plus que partiel
en bas de barbelés, déchirés de
tatouages à coucher dehors
Frappée par la peur, 100 milles à
l’heure, victimes de la déroute
Tous les gros chars du boulevard
lui ont passé sur le corps
une fine crêpe en chaos de
couleur
Chatte des basses-fosses en purée
Trop démaquillée, nue jusqu’aux
tripes
Les Hummers passent et s’en crissent
S’en lavent les pneus au détour
Marche arrière et repassent
repassant les spleeping bags des esseulés de ruelle
d’un coup de pédale
Matelas carton gaufré, baldaquin
de polythène opaque
La petite fille est allumée
La brûlure chimique des
amphétamines prisées
Rien avoir, rien à faire, presque
rien être
Presque bien, toujours mal
Au cœur, aux jambes, aux yeux, la
tête dans les poumons
Se décoller la plèvre à grands
coups de pipe de verre
La dope linceul des chevaux sans
brides
Dans la fulgurance des regards
comme des fous neufs
Logorrhées insignifiantes dans la
refonte des principes primordiaux
Auto utopie
Être propriétaire de soi-même
comme de son propre esclave
Se vendre à rabais, racheter ses
services
Pompeuses sadomaso dans le libre-sévices des banlieues aux milles
et une orgies
S’auto mutiner par la bande